La rue de Seine, dans sa partie située entre les quais et la rue de Buci ,est très ancienne puisqu'elle date du milieu du XIIIè siècle. C'était alors un simple chemin abritant principalement des tuileries. Elle a porté différents noms selon les époques : chemin de la porte de Buci à la rivière, chemin du Pré aux Clercs ". Comme elle faisait partie du bourg Saint Germain des Prés, elle dépendait de la censive de l'abbaye du même nom à laquelle les propriétaires devaient verser tous les ans le cens, sorte d’impôt foncier. C'est en 1702 que l'ancien bourg entra dans le giron de la capitale.
L'îlot compris entre la rue de Seine, la rue Mazarine et la rue de Buci fut loti par les bons moines de Saint germain à partir de 1530. La plupart des parcelles, semble-t-il, avaient la forme de parallélogrammes accolés les uns aux. C'est une caractéristique que l'on retrouve encore actuellement1.
L
Hotel de Liancourt,
la rue de Seine en haut à gauche
Selon les dernières volontés de Mazarin, Colbert fit construire en 1662 un collège en face du Louvre à qui il donna le nom de "collège des Quatre Nations" . C’est maintenant notre Académie Française.
On trouvait aussi dans la rue l’hôtel de Liancourt habité par La Rochefoucauld, l'auteur des Maximes. Molière, Voiture, madame de La Fayette et sa grande amie madame de Sévigné et bien d’autres le fréquentaient assidûment. L'hôtel disparut lors du percement de la rue des Beaux Arts en 1825.
Certes, l’immeuble qui nous occupe n’a ni le prestige ni les dimensions de ces derniers mais un de ses bâtiments est très ancien et ses assises comme celles du corps de logis sur rue n’ont pas beaucoup changé au fil du temps. Même si des ailes se sont rajoutées aux constructions primitives, si des étages se sont élevés et si le jardin a rétréci pour faire place à de nouveaux corps de logis, l'ensemble garde sa cohérence primitive.
Voici donc l'histoire du "51 rue de Seine" qui n'a eu, en quatre siècles, que cinq familles de propriétaires .
1595-1658
La rive orientale de la rue de Seyne fut baillée à cens et à rente par les religieux de Saint Germain des Prés dès 1530, l’autre rive étant essentiellement occupée par le Petit Pré aux Clercs où s’ébattaient et se battaient les fougueux étudiants de l’Université. En 1530, l’îlot compris entre la rue de Buci, la rue de Seine et la rue Mazarine contenait deux parties. La première, celle du midi, avait une surface de deux arpents et demi et appartenait à l’aumônerie de Saint Germain des Prés. Elle fut baillée dès 1530 à plusieurs personnes. La seconde aboutissant alors à la Seine contenait cinq arpents, un quartier et vingt perches. Après un procès contre les frères de l’Hôtel-Dieu qui en avaient indûment pris possession en 1531, elle fut cédée à Gilles Lemaistre, avocat du roi et premier président du Parlement. Ce dernier la morcela et vendit les lots à partir de 1538. Comment le lot occupé par le 51 rue de Seine parvint-il à Jean Lhuillier, banquier, puis à François de Peyrat, nous n’avons pas pu le déterminer mais toujours est-il que le cueilleret de 1595 de Saint Germain des Prés indique ceci :
« De Monsieur de Peyrat, thrésorier général de la maison de Monsieur de Montpensier au lieu des ayans cause de feu Me Jehan Lhuillier, banquier, pour une grande maison couverte d’ardoise assise en la rue de Seyne, tenant d’une part audict de Villars, advocat, d’autre part aux héritiers de feu Claude André, aboutissant d’un bout par devant sur ladicte rue de Seyne et par derrière à ________ qui doibt de cens chacun an ledict jour sainct Remy 15 solz »
C’est très exactement le 7 mai 1603 que François de Peyrat acquit, pour 2500 livres et par adjudication au Châtelet, le terrain qui ne contenait alors qu’une masure en ruine. En effet, à cause des guerres entre le futur Henri IV et les Catholiques de la Ligue, les maisons situées près des fortifications de Philippe Auguste furent volontairement détruites afin d’éviter que les assiégeants ne puissent jouir d’une position haute sur Paris. Lorsque la paix fut revenue, on recommença à bâtir. François de Peyrat suivit si bien l’exemple de ses compatriotes que son terrain contenait en 16282 quatre maisons : l’une donnait directement sur la rue de Seine par porte cochère, la seconde, plus grande, était entre cour et jardin et enfin les deux autres se situaient derrière et avaient leurs entrées rue Mazarine3 qui s’appelait à cette époque rue des fossés d’entre les portes de Nesle et de Bussy.
François de Peyrat4, dont la famille était originaire de Pezenas, avait épousé en 15955 Philippe Le Ragois, fille de Bénigne Le Ragois, en son vivant notaire et secrétaire du roi et de Marie Saulcier. Elle était aussi la sœur du célèbre Claude Le Ragois, seigneur de Bretonvilliers.
De leur mariage naquirent six enfants : Charlotte qui épousa en 1614 « noble homme Christian Yolande6 », René, écuyer et seigneur de Sallange, Jacques, conseiller du roi et contrôleur général des rentes de la ville de Paris qui épousa Charlotte Petit dont il eut une fille, Angélique, Claude, seigneur de La Boullaye, et controleur des rentes, Madeleine qui s’unira à Jacques Mérieult, seigneur des Parquets et Jean, seigneur et baron de La Redorte.
François Peyrat mourut entre 1611 et 1613 alors que ses enfants étaient encore mineurs. Sa veuve, en femme de tête, consacra aussitôt son temps à diminuer ses dépenses et à se procurer des revenus.
Le 9 septembre 16137, alors qu’elle demeurait encore dans la maison de la rue de Seine, elle loua la partie des bâtiments ayant issue sur le rue de Seine « à haulte et puissante princesse madame Marguerite de Lorraine , toute nouvelle veuve de « hault et puissant prince monseigneur François de Luxembourg, duc de Piney et pair de France8 ». Il en coûtait à la princesse la coquette somme de 1200 livres par an. Le bail incluait la maison entre cour et jardin, l’entrée par la porte cochère et la jouissance du jardin et du puits commun. Philippe Le Ragois déménagea alors pour s’installer dans une des maisons qui avaient son entrée sur les fossez de la ville.
La duchesse de Lorraine ne resta pas longtemps locataire de la maison puisque Philippes Le Ragois reloua les lieux, le 17 mars 1615, à Martin Martineau, baron de Thuré et seigneur de Grand Pouillé et de la Tour de Pouillé, conseiller-secrétaire du roi.
Ratification
du bail par Marguerite de Lorraine dont
la dernière phrase est « Fait et passé en
lad maison en lad rue de Seyne en laquelle lad dame princesse est
demeurante, déclarée aud contrat en jour et an susd.
Q
Château
de Boumois
La vie s’écoulait lentement et tranquillement avec ses joies et ses deuils. Ainsi, elle maria en 1613 sa fille Charlotte à Christian Yolande et « en faveur et contemplation du mariage » Philippe Le Ragois leur donna 13 000 livres, 12 000 livres en deniers comptants et 1000 livres en assurant leur logement et leur nourriture pendant deux ans. Une tante, Clémence de Peyrat, y ajoutait généreusement 1500 livres. Si la signature du contrat de mariage réunit la famille Le Ragois et la famille Peyrat au grand complet, il n’y eut pas de représentant de la famille du futur époux, absence qu’il compensa par la présence de nombreux amis , pour la plupart conseillers secrétaire du roi et membres du Parlement. Cette toute jeune épouse ne dût pas vivre bien vieille puisqu’elle ne figure pas parmi les héritiers de Philippe Le Ragois.
En l’année 1530, notre veuve perdit sa mère, Marie Saulcier qui laissait à ses quatre enfants une petite fortune et en particulier des maisons rue de Seine et rue Mazarine, en face de l’hôtel de La Rochefoucauld11 , l’une d’entre elle, qui avait son entrée sur les fossés d’entre les portes de Bussy et de Nesle, fut attribuée à Philippe Le Ragois12 qui la donna un peu plus tard à son fils René
En l’année 164813, elle fit son testament. Au-delà des dons habituels que l’on trouve dans les testaments, elle demandait étrangement qu’on fasse « une petite charité »à trois jeunes enfants qui portaient le nom de Le Ragois et qui étaient les enfants de Claude Le Ragois, « mor an prison ». Elle léguait à chacun de 100 livres « pour apprendre un mestier ». Elle exigeait aussi qu’on ne toucha pas à son corps mort pendant 2 jours et qu’ensuite on l’ouvrit afin de voir de quel mal elle soufrait depuis longtemps. Enfin, elle recommandait à ses fils leur « pauvre sœur ».
Première
page du testament de la veuve Peyrat
Elle mourut le 15 mars 1649. En 1650, les enfants firent appel à un expert pour partager les immeubles de la rue de Seine14. Son procès-verbal révéla que la maison sur la rue de Seine avait trois travées de long, qu’il était couvert d’ardoise et comportait deux étages plus le rez-de-chaussée. Deux boutiques avaient leur entrée sur la rue de chaque côté d’une porte cochère qui servait d’entrée à la grande maison entre cour et jardin. Après l’allée de la porte cochère, on arrivait dans une cour dont chaque côté avait une montée hors d’œuvre, avec à droite des galeries qui servaient à communiquer avec le grand corps de logis. Un hangar servait de remise de carrosse et un puit servait aux habitants des maisons sur la rue et sur le jardin. Une descente droite dans chaque boutique conduisait à une cave voûtée. La maison sur rue fut prisée à 8 000 livres.
Le grand corps de logis entre cour et jardin avait trois grandes travées de long et comportait un rez-de-chaussée et deux étages. On trouvait quatre avec garde-robes à chaque étage dont deux donnaient sur le jardin et deux sur la cour. La cave qui était sous ce bâtiment servait d’écurie. Le rez-de-chaussée comportait une antichambre, une chambre et alcôve, une cuisine , une salle derrière et un passage qui menait au jardin. Derrière, le jardin était décoré de parterre de buis et on y avait planté quelques arbres fruitiers. Un puit servait à la fois au jardin et à une des maisons qui était sur le fossé d’entre les portes de Bussy et de Nesle. Le tout fut estimé à 24 000 livres .
La première maison située sur ce fossé (celle de droite) avait trois travées de long avec au rez-de-chaussée une cuisine sur la rue, une « sallette » sur la cour avec une allée de passage à côté et une porte cochère qui servait de boutique . Au-dessus, deux étages desservis par un escalier hors d’œuvre comportaient chacun deux chambres et deux cabinets. La maison était construite sur deux berceaux de caves voûtées et un passage entre deux aussi voûté. Derrière, dans la cour, on avait bâti un logis en aile de deux travées de long et d’un étage au-dessus du rez-de-chaussée. Ce dernier comportait une écurie, une cuisine, une salle à côté de la porte de la cave. Le premier étage n’avait qu’une chambre. Un puit était dans la cour et une galerie conduisait au premier à un siège d’aisance. L’expert estima cette maison à 10 000 livres.
La deuxième maison sur le fossé avait pour enseigne L’Image Sainte Barbe. Elle n’avait que deux travées de profondeur . Couverte d’ardoise, elle s’élevait sur deux étages au-dessus du rez-de-chaussée qui n’avait chacun qu’une chambre et une petite garde-robe. Un petit appentis dans la cour servait de siège d’aisance et deux autres d’écurie. Un passage entre deux conduisait au puit du jardin de la grande maison de la rue de Seine. Le tout fut prisée à la modeste somme de 6 000 livres.
Le partage de la succession fut signé le 27/07/1650. Il attribua à Claude Peyrat, seigneur de la Boulaye, le corps de logis sur la rue de Seine, celui du jardin échut à sa sœur Magdeleine Peyrat, veuve de Jacques Mérieult, seigneur des Parquets et un bâtiment de la rue Mazarine (celui qui était à l’enseigne de l’Image Sainte Barbe) alla à Angélique Peyrat, petite-fille de Philippe Le Ragois et à son mari Claude Soisne. Jean Peyrat eut pour sa part l’autre bâtiment sur les fossés de la ville. Quant à René Peyrat, il se contenta de la maison que lui avait donnée sa mère quelques années auparavant en avancement d’hoirie.
Cette situation ne dura pas longtemps puisque, le 5 octobre 1655, Jean Peyrat, baron de la Redorte, racheta à son frère Claude Peyrat, écuyer et seigneur de La Boullaye la maison qui donnait sur la rue de Seine. Quant à sa sœur, Madeleine Peyrat que sa mère qualifiait à juste titre dans son testament de « pauvre », étranglée de dettes, elle lui vendit le même jour pour 24 000 livres la maison entre cour et jardin.
Le 11 octobre de la même année, il racheta à Angélique, sa nièce, et à son mari la maison à l’enseigne de L’Image Sainte Barbe. Il se trouvait ainsi propriétaire de la totalité des maisons situées sur les parcelles du 51 rue de Seine et des 50 et 52 rue Mazarine .
pour
illustrer le domaine de PeyratExtrait d’un plan cadastral du XIXe siècle
Cette situation ne dura guère puisque trois ans après, par un contrat passé devant maître Defainct Saint Vaast, le 1er octobre 165815, Jean Peyrat revendait au sieur Gervaise et à son épouse pour 33 000 livres les bâtiments sur rue et sur jardin ayant leur entrée rue de Seine. Le 13 du même mois, il cédait la maison à L’Image Sainte Barbe de la rue Mazarine à Louis Colonia, écuyer, seigneur du Cormier et gentilhomme de la chambre de la duchesse d’Orléans, en échange d’une rente.
1658-1741
Qui était le sieur Gervaise ?
Louis Gervaise était un bourgeois de Paris, marchand linger, huguenot de surcroît, situation inconfortable en ces temps de Révocation de l'Edit de Nantes.
Il avait pour épouse Marguerite Marie Desfresnes. Le couple vivait des jours heureux et bientôt on fêta l'arrivée au foyer d'un garçon puis d'une fille.
En 1678, le sieur Gervaise et sa femme habitaient encore la maison. Une déclaration au terrier de l’abbaye de Saint Germain des Prés précisait qu'elle consistait toujours en deux corps de logis l'un est sur le devant et l’autre sur le derrière et qu’elle avait une porte cochère et un jardin sur le derrière. Il avait pour voisin de gauche la maison des trois mortiers. À droite, le sieur Civassin (presque illisible) était propriétaire et au fond du jardin dans la maison de la rue Mazarine habitait Jean Peyrat.
La rue du Marais (actuellement rue Visconti), toute proche, était connue sous le nom de « petite Genève » et sans doute le sieur Gervaise fréquentait les protestants qui y étaient nombreux. En 1685 l’édit de Nantes fut révoqué par Louis XIV et la plupart des maisons de la rue du Marais furent incendiées et beaucoup de leurs habitants, assassinés. Louis Gervaise n'échappa pas aux foudres du Roi. Selon un article du Dictionnaire du Protestantisme, "Louis Gervaise , marchand linger était un ancien de l'église de Paris. Son grand âge (70 ans) ne le fit pas excepter de la mesure qui frappa ses collègues. Le 10 novembre 1685, une lettre de cachet l'exila à Gannat d'où il fut transféré en 1686 à l'abbaye de Saint Magloire puis à l'Oratoire16 . L'année suivante, on l'envoya dans le couvent de Lagny puis au "château d'Angoulême. De guerre lasse, devant son opiniâtreté, on l'expulsa du royaume en 1688. Il se retira à Londres près de son fils qui, non moins zélé pour la "religion évangélique, s'y était enfui avec son beau-père, Isaac Mariette, et toute sa famille.
Outre ce fils, Louis Gervaise laissa de son mariage avec Marguerite Du Fresne (sic) une fille nommée Marguerite-Marie qui ne donna pas le même exemple de constance, non plus que sa mère. Son mari qui s'appelait Le Mosnier était fermier général de l'abbaye de Saint Germain des Prés . La place était bonne, il la préféra à sa religion et abjura
Louis XIV qui avait confisqué leurs biens les restitua à Marguerite Dufresne le 26 octobre 1688.
Par un testament daté du 23 avril 1674, les époux Gervaise avaient légué leurs maisons des rues de Seine et Mazarine à leurs petits-enfants qui en héritèrent vingt ans après. Grâce à cette disposition testamentaire, ce furent donc leurs deux petites filles Marie Marguerite et Anne Lemosnier du Quesne qui devinrent propriétaires de cette maison. `
Les déclarations du 25 juin 1721 au terrier de la censive de l’abbaye de Saint Germain des Prés par Anne et sa sœur Marie Marguerite nous confirment qu’elles avaient partagé la maison un peu à la façon des Peyrat : l’une avait le corps de logis sur la rue et l’autre celui qui est entre cour et jardin. La maison s'appelait alors Hôtel de Nismes. Seule Anne y demeurait mais sa sœur, qui entre-temps avait épousé le comte de Flassan, habitait rue Taranne tout près de là.
Anne mourut, la comtesse de Flassan, sa sœur, devint seule propriétaire.
En 1741 la moitié du corps de logis sur la rue était louée à un aubergiste qui vraisemblablement n'y exerçait que sa profession puisqu’il demeurait rue Champfleury. L’autre moitié était baillée à un maître chaudronnier. Quant au rez-de-chaussée à droite du corps de logis entre cour et jardin il était occupé par un maître à danser ainsi qu’une place dans l’écurie pour un cheval et une autre dans la première cour pour une chaise à porteur ! C’était dit-on les seuls locataires en 1741 mais le comte et la comtesse de Flassan qui demeurait alors dans l’immeuble occupaient le reste.
Hélas, le comte était très endetté, à tel point que le 3 décembre 1739, il faisait donation de sa maison au sieur de Breguet pour payer ses dettes. Quelques mois après, le 10 may 1741, le sieur Bréguet se désistait de la donation et finalement le 12 May 1741, la totalité de la maison était vendue au sieur Catherinet.
Comme on le verra par la suite, malheur lui en prit car le sieur Catherinet était mauvais payeur.
1741-1764
Pourquoi le sieur Catherinet achetait-il l’immeuble de la rue de Seine ?
Le sieur Catherinet, qui était seigneur de Vennevaux et substitut du procureur au Parlement de Paris, possédait et habitait une maison de la rue Mazarine qui était au bout du jardin,. Il l'avait héritée de sa mère, Jeanne Marie Van Mirt, veuve de François Catherinet. C'est le sieur de Colonia, son oncle, qui lui en avait fait donation "à cause des bons soins qu'elle lui avait prodigué" [Me Taboué 16/10/1685]. Pour le sieur Catherinet il était tentant de posséder l'intégralité de la propriété, comme c'était le cas du temps des Peyrat.
Lors de cet achat, la propriété était décritede la façon suivante :
À l’enseigne de l’Hotel de Nismes, elle consistait en deux corps de logis, le premier était sur la rue de Seine avec cour derrière, le deuxième était double en profondeur (c.a.d. qu'il a des fenêtres sur cour et sur jardin), il avait un petite cour « derrière laquelle étaient deux pavillons" avec un jardin aboutissant à la maison du sieur Catherinet et à celle de la veuve Pilot qui avaient toutes deux leur entrée rue Mazarine. La dame Pilot avait la jouissance d’un puit situé au fond du jardin de la rue de Seine.
Cette description est fort intéressante, d’une part parce qu’elle fait allusion pour la première fois à des pavillons sur le jardin et d’autre part parce qu’elle coïncide bien avec le plan de 1822 qu’en a fait l’architecte Bergevin, le propriétaire de l'époque.
Un point reste à éclaircir : pourquoi cette évocation de deux corps de logis sur la rue ? Peut-être parce que la porte cochère séparait deux locations.
Toujours est-il qu'une déclaration au terrier de l’abbaye de Saint Germain des Prés de 1747 confirme cette description.
Hélas le sieur Catherinet avait été trop gourmand, il était endetté jusqu’au cou et n’arrivait même pas à payer la maison. Pour parer le coup, il passa un accord avec le comte de Flassan selon lequel il rembourserait une partie de sa dette sous la forme d’une rente. En outre il donnait au comte et à la comtesse de Flassan un appartement au deuxième étage de sa maison de la rue Mazarine et leur assurait nourriture, chauffage, le blanchissage et « tout besoin de la vie tant en santé que maladie, le tout pendant la vie et jusqu’au décès dudit seigneur de Flassan ».
Apparemment les affaires de Catherinet ne s'améliorèrent pas dans les années qui suivirent : après sa mort, ses créanciers saisirent les maisons de la rue de Seine et de la rue Mazarine et le 10 février 1764 ses biens furent vendus, moyennant la confortable somme de 121 500 livres au sieur Anglekot et à dame Chevry, sa femme en secondes noces.
1764-1822
La famille Anglekot-Dugast-Bergevin
A l’occasion de cet achat, le sieur Anglekot, marchand tailleur, fit une déclaration au terrier de la censive de l’abbaye de Saint Germain des Prés qui nous apporte quelques nouveautés.
Ainsi, le bâtiment entre la cour et le jardin comprenait alors une aile de chaque côté. Si le corps de logis entre la cour et le jardin était toujours double en profondeur, le bâtiment sur rue était simple en profondeur, ce qui encore le cas aujourd'hui. Les deux constructions avaient plusieurs étages de chambres. Le grand jardin était maintenant séparé de l’immeuble de la rue Mazarine par une grille.
De son second mariage, le sieur Anglekot eut deux enfants : Albert-Henri et Françoise. Il ne vécut pas longtemps avec sa famille au 51 rue de Seine puisqu’il décéda quatre ans après l'avoir achetée. Sa seconde femme, Françoise Chevry, devint alors propriétaire des maisons des rues de Seine et Mazarine.
Devenue veuve, elle demanda à deux architectes experts de faire une visite et une estimation des maisons des rues de Seine et Mazarine. Le procès-verbal d’expertise daté du 20 mars 175717 nous révèle plusieurs points forts intéressants :
la maison sur rue qui était simple en profondeur avait 5 fenêtres sur la rue. Il comportait 3 étages carrés et un quatrième « en galetas » et une pointe de grenier au-dessus. Au derrière, à gauche, se trouvait un édifice de même élévation avec en continuité une remise surmontée d’une terrasse et5 étages de cabinets moins saillants. Dans l’angle à droite de la cour , un autre édifice contenait une cage d’escalier qui desservait le bâtiment sur rue. Dans son prolongement, on trouvait un édifice en aîle d’un étage au-dessus du rez-de-chaussée et au-dessus deux étages de cabinets moins saillants.
Au fond de cette cour, le second corps de bâtiment était double en profondeur et élevé d’un rez-de-chaussée , de 3 étages carrés et d’un quatrième en attique.
Derrière cet édifice on trouvait une deuxième cour et un jardin dans lesquels, à droite et à gauche il y avait deux ailes de même élévation.
Le troisième et dernier corps de logis se situait rue Mazarine. Il était séparé du jardin par une gille en fer et composé d’une cour avec à droite et à gauche deux édifices en aîle, élevés de 3 étages et d’un 4e en mansarde. Au fond de cette cour se trouvait le bâtiment sur la rue Mazarine à 4 croisées sur la rue .
Un magnifique plan commenté accompagnait le procès-verbal. Nous l’avons reproduit à la page suivante.
Lorsqu'elle décéda, son fils fut le seul et l’unique héritier puisque la fille avait disparu avant sa mère. À la mort d’Albert-Henri, en 1783, il ne restait plus qu'une héritière, sa nièce, Marie Françoise Dugast, fille d'un "maître en art de peindre".
Cette demoiselle épousa en 1784 le sieur Bergevin qui était un des locataires de l'immeuble.
Catherine Louis Bergevin était un architecte de talent puisque le vicomte et la vicomtesse de Faudoas lui confièrent la construction de leur hôtel rue Bailleul qui est encore qualifié "du plus bel hôtel de style Louis XVI".
Mais revenons à leur mariage. Le contrat qui fut passé devant maître Bancal-Desissards, nous renseigne de façon assez savoureuse sur les apports de la future épouse :
« Pour la parfaite amitié que les futurs époux se portent l’un à l’autre et dont ils veulent se « donner des preuves », ils se font une donation entre vifs l’un à l’autre et par le premier « mourant de tous les biens appartenant au premier décédé. Dans un autre article du contrat, les immeubles des rues de Seine et Mazarine sont réunis en une seule propriété.
L’immeuble de la rue de Seine y est évoqué dans des termes peu rassurants sur son état, comme on peut en juger :
« Le demoiselle future épouse considérant que l’ancienneté de la construction de ladite « maison rue de Seine (…) et les réparations, augmentation et changemens (sic) qu’il « pourra être nécessaire d’y faire pendant son mariage, exigeront de la dépense et en outre « des soins extraordinaires qui regarderont seul ledit sieur son mari », il est stipulé que si « son époux lui survit sans enfant le mari aura la maison pour la somme de 80 000 livres « et en cas d’enfants pour la somme de 160 000 livres.
Madame Bergevin mourut en 1786 sans laisser d’enfant. Son mari se battit comme un beau diable pour ne payer que la moitié des droits de succession sur les maisons, considérant que l’usufruit devait lui donner une réduction de la moitié des droits. L’affaire fit du bruit, elle fut plaidée à plusieurs reprises devant différentes juridictions, mais Bergevin n’obtint pas gain de cause malgré tous les mémoires qu’il avait pu écrire et qui sont gardés aux Archives Nationales18.
Le premier thermidor de l’an VI (19 juillet 1798) M. Bergevin vendit la maison de la rue Mazarine (qui portait alors le n° 1556) à un certain sieur Aumond ainsi qu’une langue de terrain, prise sur le jardin, mesurant 1 mètre 95 de profondeur sur toute la longueur de la maison. La vente de ce minuscule bout de terrain sera bien préjudiciable aux futurs propriétaires de la rue de Seine puisque l'immeuble qui se construira plus tard au fond du jardin, sera profond de 2 mètres -au lieu des 3m95 qu'il aurait pu avoir.
Un plan, dressé par Bergevin lui-même, sans doute en 1822, se trouve aux Archives Nationales. On peut constater sur le document ci-dessous que les structures sont celles que existent actuellement :
1 Voir dans les annexes les reproductions des plans cadastraux de diverses époques
2 A.N. (Archives nationales), S 3059
3 A.N. : S3058, terrier de 1628.
4 Alias François de Peyrat
5 Le contrat de mariage fut signé devant le notaire Claude de Troyes le 22 juillet 1595. Malheureusement son état de conservation ne permet pas sa consultation.
6 A.N., M.C. CXXII/1581. Contrat de mariage du 13 septembre 1613
7 A.N. : M.C. (Minutier central) CXXII/1581. Bail du 9 septembre 1613
8 Marguerite de Lorraine avait épousé en premières noces Anne de Joyeuse, favori d’Henri III, mort en 1587, lors d’un combat contre Henri de Navarre, futur Henri IV, à Coultras. Elle s’unit en secondes noces à François de Luxembourg,
9 René Gaultier est connu pour ses interventions en faveur de fondation de couvents ( par exemple, le Carmel de Tours) et ses pieux écrits (traduction de La Vie des Saints écrite par Ribadeneira, jésuite espagnol)
10 A.N., M.C. : CXXII/1619. Inventaire après décès de Marie Saulcier.
11 Ce sont actuellement les 31, 33 rue de Seine et 32, 34 rue Mazarine
12 A.N., M.C. CXXII/1621 Partage des biens de Marie Saulcier, 27 juillet 1631
13 A.N., M.C. XCI/281. Testament de Philippe Le Ragois rédigé le 2 » avril 1648 et déposé chez la notaire le 29 mai 1649
14 A.N., Z1j 270
15 A.N. , M.C. LXX/159
16 Arch. gen. "E3372
17 A.N. : Z1j 908
18 A.N. :S2863