Le 21 rue de Seine

et le 22 rue Mazarine











21 rue de Seine

22 rue Mazarine




Le 21 de la rue de Seine est un petit immeuble qui paraît banal à première vue. Pourtant, à son emplacement s’élevait une maison où se sont succédé dès le début du XVIIe siècle plusieurs générations de riches marchands orfèvres. En partie reconstruit à la fin du XVIIe siècle, toute une lignée de médecins et d’apothicaires, côtoyant princes et rois, les a relayés pendant plus de deux cents ans. Enfin, une femme, dont l’ascension sociale en étonnera plus d’un, est devenue une propriétaire avisée des lieux.

La situation de l’immeuble fut pendant longtemps exceptionnelle. Jusqu’en 1825, il faisait face au bel hôtel de La Rochefoucauld qui joua un rôle important dans l’histoire d’un de ses habitants du 21 rue de Seine.

Cet édifice mérite aussi notre attention parce qu’il a conservé au cours de son histoire, une disposition que l’on ne rencontre guère plus dans la rue, mais qui était fréquente jusqu’au XVIIIe siècle : il communique directement, par-derrière, avec la rue Mazarine par l’immeuble du numéro 22. Ce dernier, qui reste tel qu’il était à la fin du XVIIe siècle, a partagé bien souvent, ses propriétaires avec ceux de son voisin de la rue de Seine.

Ces deux maisons ont donc des histoires si étroitement imbriquées que nous ne séparerons pas ces sœurs siamoises et nous les ferons revivre ensemble.



Les Cattier,  une famille d’orfèvres

21 rue de Seine

Un document du 23 novembre 16341 nous indique que le propriétaire de la maison qui s’élevait à l’emplacement du 21 rue de Seine, était un certain Aagé Cattier.

Le nom de Cattier était familier aux habitants du “faulxbourg Saint Germain” puisqu'un Daniel Cattier possédait une maison dans la rue du fossé d'entre les portes de Nesle et Dauphine (notre rue Mazarine). Anne Cattier, épouse de Pierre Elle dit Ferdinand, peintre du roi, habitait avec son époux un peu plus haut dans la rue de Seine2. Des Cattier possédaient des loges à la foire Saint Germain et des maisons rue du Petit Lyon et rue du Brave à Saint Germain des Prés.

Aagé Cattier était marchand orfèvre. Il demeurait en sa maison avec sa femme Louise Dallemaigne et ses trois enfants : Aagé II, Isaac et Marie.

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Exemple de poinçon

e fils aîné, Aagé, embrassa la profession de son père et déposa son poinçon, le 11 d
écembre 1645, devant le notaire Marion3. C’était une fleur de lis couronnée de deux grains4 « à costé d’icelle  et au dessous il a faict gravé un A .Tn. C, lettres romaines et une rose au milieu ». Il promettait de signer de ce poinçon toutes « les besongnes d’or ou d’argent qu’il fera ou fera faire » et de le rapporter à la Cour des Monnaies s’il quittait la ville. Selon l’usage, une personne se portait caution jusqu’à vingt marc d’argent (un marc pesait 244,75g). En l’occurrence, ce fut son frère Isaac Cattier, médecin. Deux marchands orfèvres, Jean Boursin, son beau-frère, et Philippe Lequoy, un ami, certifièrent qu’Isaac Cattier « étoit suffisant et solvable » pour se porter garant.

Isaac, le cadet, suivit une tout autre voie. Bien que né à Paris, il fit ses études de médecine à Montpellier et fut reçu docteur en 1637. Devenu médecin ordinaire du Roy, il reçut l’autorisation de revenir à Paris afin d'y exercer son art. C’était un homme instruit, qui avait un esprit curieux de tout. Il s’occupait non seulement de médecine mais encore de chirurgie5 et d’anatomie. Il fit aussi d’intéressantes observations sur les vaisseaux lymphatiques et la transposition de viscères et laissa plusieurs ouvrages sur les vertus des eaux de Bourbon sur les rhumatismes. Enfin, il s’opposa à M. Papin sur la poudre de sympathie dont il contestait les propriétés.

Quant à Marie, elle épousa Jean Boursin, le marchand orfèvre cité plus haut.

Le 12 avril 1645, les trois enfants se partagèrent les biens de leurs parents décédés. Malheureusement, nous n’avons pas retrouvé l’acte. On sait seulement que la maison fut attribuée à Aagé fils qui n'en profita qu'une dizaine d'années puisqu'il mourut vers 1655, sans descendance. Cette fois, ce fut maître Guneau, notaire, qui se chargea, le 25 août 1655, de procéder au partage entre Isaac et sa sœur Marie6. Selon les indications portées dans l’acte, Isaac Cattier habitait rue Neuve Saint Eustache, Jean Boursin et Marie Cattier sa femme étaient aussi installés dans le quartier Saint Eustache, rue de Cléry. Au jour de sa mort, Aagé possédait trois maisons qui furent évaluées par Mathurin Dury, architecte des bâtiments du roi et Philippe Musnier, maître maçon. La première maison, située rue de Berry, marais du Temple, fut évaluée à 17000 livres, ils estimèrent celle de la rue de Seine à 13000 livres, enfin une loge faisant l'encoignure de la rue de la Chaudronnerie "soubz la halle couverte de la foire Saint Germain", fut prisée 3300 livres.

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Le partage du 12 août 1655

a maison de la rue de Seine , avait pour enseigne
l’Assurance. Elle consistait "en un corps de logis sur le devant à boutiques, cour, petit logis sur le derrière". Deux lots furent faits et tirés au sort par un gamin de 14 ans qui passait alors dans la rue et leur était inconnu. Le hasard qui présida à ce tirage ne fut pas très heureux pour les Boursin. Ils recevaient la maison de la rue de Seine, mais devaient verser une soulte de 1300 livres à Isaac, somme qui se rajoutait aux 1350 livres dont ils lui étaient redevables depuis le partage de 1645.

La maison était louée au sieur Dallemaigne, maître barbier chirurgien et sans doute membre de la famille puisqu'il porte le nom de la mère d'Isaac et de Marie. Jean Boursin lui renouvellera son bail le 14 août 1660, pour cinq ans et moyennant 600 livres par an7, somme qui sera un peu plus tard portée à 700 livres.

Hélas, malgré ce revenu, les Boursin n'arrivaient pas à payer leurs dettes. Ils furent obligés de vendre leur maison. Devant maître Bouron8, le 25 mars 1664, donc presque une dizaine d'années après le partage, ils en signèrent l'acte de vente. Ils la cédaient à un certain sieur Bourdelin, apothicaire, pour la somme de 16000 livres, "à condition qu’il entretienne le bail fait au sieur Dallemaigne". Isaac, le frère de Marie, revint quelques jours plus tard toucher directement du sieur Bourdelin la somme de 2000 livres qui lui était encore due par sa sœur et son beau-frère. Il n'en réclama point les intérêts.


22 rue Mazarine

Au moins à partir de 1631 et jusqu'en 1643, le 22 rue Mazarine, qui jouxte par-derrière le 21 rue de Seine, avait aussi pour propriétaire un membre de la famille Cattier. Il s'agissait de Daniel Cattier qui était « figurier fayenssier9 ». Il habitait la maison avec sa femme, Marie Breban . C’était, sans aucun doute, un homme prudent et avisé qui savait faire fructifier son bien. En effet, le 16 juillet 1631, son beau-frère, Philippe Breban, qui était horloger du duc d’Orléans et qui habitait aussi dans la maison, lui constituait une rente annuelle de 150 livres10. En mars 1634, Daniel Cattier louait pour six ans11 une loge qu’il possédait à la foire Saint Germain. Cette location lui rapportait la somme de « 620 livres tournois de loyer pour et par chacune des six années ».

Ce faïencier était aussi un père heureux puisqu’il eut au moins trois enfants. Le premier,  Philippe, devint avocat au Parlement, ce qui n’était pas rien pour un fils de faïencier. Ensuite venait Marie (encore une) qui épousera plus tard Jean Blisson. La dernière-née était Anne.

Lorsque les parents moururent, Anne était encore mineure mais elle fut émancipée d’âge sous l’autorité d’Isaac Cattier, le médecin que nous connaissons. Philippe, Marie et Anne reçurent en héritage plusieurs maisons à Saint Germain des Prés. La première était celle du 22 rue Mazarine où Marie Cattier et son mari Jean Blisson habitaient, La deuxième était située rue du Petit Lion. Il y avait encore une troisième rue du Bran ainsi que deux loges dans la halle couverte de la foire Saint Germain

Bientôt, ils voulurent sortir de l’indivision. Pour pouvoir faire un partage équitable, ils firent appel à l’architecte des bâtiments du roi, Jehan Androuet du Cerceau qui expertisa les maisons avec Michel Delaunay et Mathurin Dury, maîtres maçons. Leur rapport12, très détaillé, nous apprend que la maison avait son entrée sur la rue “du fossé d’entre les portes de Nesle et Dauphine” (notre rue Mazarine) et portait l’enseigne des Six empereurs. Elle consistait en un corps de logis de deux travées de profondeur sur la rue. Elle était élevée de trois étages au-dessus du rez-de-chaussée, avec une boutique, une “sallette” derrière et une écurie sur la rue. Aux premier comme au second étage on trouvait une entrée avec une soupente au-dessus, une chambre, une garde-robe avec cheminée et un cabinet. Le troisième, en “galletas”, comportait deux chambres, une garde-robe et un grenier au-dessus. Dans la cour derrière, on avait construit plusieurs petits édifices. L’un servait de cuisine et comportait une petite chambre lambrissée au-dessus. L’autre, de deux étages, avait une galerie au droit du second étage. Un petit corps de logis de trois travées de long couvert de tuile était construit entre la cour et une petite « courelle » dans laquelle on trouvait un puits et deux appentis dont l’un avait un four à cuire de la vaisselle de faïence. Un petit jardin, clos de mur, jouxtait par-derrière la propriété d’Aagé Cattier.



L’expertise de la maison rue Mazarine


Extrait de l'expertise du 22 rue Mazarine

par Jehan Du Cerce


Les experts, qui étaient arrivés à faire trois lots, estimaient la totalité des biens immobiliers à 47000 livres, dont 17000 pour la maison de la rue Mazarine. Maître Girard, commissaire examinateur au Châtelet, procéda au partage le 6 février 164313. Très logiquement, la maison du 22 rue Mazarine échut à Marie Cattier et Jean Blisson, son époux puisqu’ils l’occupaient.

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La déclaration au terrier de l’abbaye de Saint Germain des Prés

uelque 40 ans plus tard, une déclaration au terrier de l’abbaye de Saint Germain Pré
sdu 13 avril 168414 nous apprend que Jean Blisson et sa femme étaient décédés. Leur fils, qui se prénommait aussi Jean, leur avait succédé. Si la rue s'appelait alors rue Mazariny, la maison portait toujours la même enseigne et avait peu changé puisqu'elle consistait "en un corps de logis de deux travées de profondeur, couverte de tuilles en comble et esgout sur lad. rüe et sur la court, appliqué au rez de chaussée à une petite boutique séparée en deux d'une cloison de massonnerie et charpenterie, une salle au derrière de lad. boutique, une allée à costé d'icelle, une escurie attenante sur lad. rüe, quatre berceaux de caves sous led. rez de chaussée, trois estages au dessus dud. rez de chaussée et autres lieux, appartenances et dépendances […]". Elle tenait d’une part à droite au sieur de Riancourt, auditeur des comptes et d’autre part au sieur Gayant, chirurgien. Jean Blisson payait à l'abbaye de Saint Germain des Prés, six deniers parisis de cens par an.

Jean II Blisson avait épousé une certaine Anne Cattier dont il avait eu trois enfants, Anne, Judith et François. Après le décès de leurs parents, ils possédaient donc la maison en indivis. Sans doute François Blisson connaissait-il des difficultés financières puisqu’à sa mort ses sœurs ne se portèrent pas héritières et un curateur à la succession vacante fut nommé. À la requête d’un certain Gaspard Planchon, la maison fut saisie. Le 4 février 1690, elle fut adjugée par décret15 à maître Quellier, procurateur au Châtelet, pour la très modique somme de 7 250 livres16. Si elle avait troqué l’enseigne des Six empereurs contre celle de La Fontaine de jouvence, elle n’avait pas changé d’aspect. Cependant l'écurie n'était plus mentionnée.

Le procureur Quellier avait enchéri au nom de Claude Bourdelin, le voisin de la rue de Seine. Ce dernier faisait une très bonne affaire et devenait ainsi propriétaire d’un domaine allant de la rue de Seine à la rue Mazarine.

C

Le décret d’adjudication

’est ainsi que s’installa un état qui perdurera jusqu'à nous.













1 AN MC XXI/125, 20/11/1634. L'acte concerne le 19 rue de Seine et indique qu'Aagé Cattier est le propriétaire de la maison de droite.

2 Dans la maison qui était à l'emplacement de l'actuel 47 rue de Seine

3 AN, MC, CXV/90 ; 11/12/1645

4 Les grains sont sans doute les grains de remède qui représente l’écart accepté par marc d’argent (1 grain = 0,053g)

5 Dictionnaire encyclopédique des sciences -tome XIII p.355. Paris 1874

6 AN, MC, XVII/7

7 AN, MC, XXIII/305

8 AN, MC, VI/402

9 Document difficile à lire, c’est peut-être « figuriste fayenssier ». Figuriste (ou figurier ?) serait celui qui fabriquait des objets représentant des animaux, des bustes de personnes etc. Dans un acte cité plus loin,  plus vieux de 12 ans, on trouvera la mention d’un « appenty servant à cuire de la vaisselle de fayence »

10 AN, MC, LXXIII/325, 19 juillet 1631

11 AN, MC, XCI/226, 18 mars 1634

12 AN, Z1j/261, 16 janvier 1643

13 L’acte n’a pas été retrouvé

14 AN, S 2837 f°307 n°8


15 AN :Y 3420

16 Observons que l’immeuble avait été évalué à 17000 L en 1643

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