Les immeubles des 61- 63 et 65 rue de Seine présentent au promeneur des façades fort élégantes et anciennes. Mais celui qui jette sur elles un regard distrait sait-il qu’elles contemplent la rue de Seine depuis le début du XVIIe siècle et qu’elles sont peut-être l’œuvre d’un architecte fort connu , Claude Vellefaux ?


Il ignore sans doute que des propriétaires aux positions sociales fort variées se sont succédés, que des partages successoraux mal conduits ont provoqué des séparations regrettables .

Un examen attentif des façades permet de très vite de constater qu’à chaque étage, les balcons sont alignés et que ces bâtiments, au moins pour qui sont sur rue, ne faisait atrefoisqu’un seul bâtiment.

C’était en effet le cas au XVIIe siècle. La propriété s’étendait alors jusqu’à la rue Mazarine. C’est alors que deux experts, sans doute trop inventifs, imaginèrent de les morceler en deux lors d’un partage. Une succession, quelques dizaines d’années plus tard, lui retira la partie faisant face à la rue Mazarine. Enfin un troisième partage scinda en deux lots le bâtiment sur la rue de Seine. Des difficultés financières obligèrent un des propriétaires à se séparer de la partie qui avait pignon sur rue !

Cette situation qui dura plusieurs siècles cessa, du moins en partie, lorsqu’un homme avisé réunit deux des trois immeubles. Ce sont nos numéros 61-63. Néanmoins, le 65 de la rue de Seine est encore isolé de ses soeurs siamoises.

Ma recherche est partie des Archives de Paris où les sommiers et les calepins des propriétés bâties me permirent de repérer facilement les propriétaires les plus récents et les références de leur acte d'achat. Tout naturellement le Minutier Central des Notaires des Archives Nationales me permit peu à peu de remonter le fil du temps. La qualité des propriétaires qui étaient tour à tour libraires, procureurs ou conseiller au Parlement , architecte, pâtissier ... m'obligèrent à élargir le champs de mes recherches. Ma quête fut intéressante, captivante, passionnante, parfois semée d'embûches mais ne me laissa jamais indifférente.

Je vous invite donc à découvrir l'histoire de ces immeubles fort curieuse et pleine de rebondissements.


Le bourg Saint Germain

Au temps où commence l’histoire des maisons qui nous occupent, c’est-à-dire au début du XVIe siècle, Saint-Germain-des-Prés était un simple bourg offrant à ses occupants un paysage champêtre. En son centre, se dressait l’abbaye du même nom que les bons moines, sur les ordres de ….. , avaient entourée de hauts murs et d’un fossé. Du côté de l’orient, d’autres fortifications protégeaient Paris depuis Philippe Auguste. Il fallait passer par les portes de Nesle ou Saint Michel pour accéder à Saint Germain puisque la porte de Bussy étant fermée depuis … ..

La rue de Seine, qui commençait à la rivière mais qui s’arrêtait alors à la rue de Buci1, n’était qu’un simple chemin de terre bordé à l’ouest par une tuilerie et le célèbre petit Pré aux Clercs où s’ébattaient (et se battaient) les étudiants de l’Université.

Les premières maisons furent bâties sur le côté oriental de la rue vers 1530 parce que la réouverture de la porte de Bussy facilita aux Parisiens l’accès au bourg Saint Germain. Le calme, le bon air et les distractions offertes par sa foire qui se tenait tous les ans en février, en firent un lieu à la mode. Les bons abbés, soucieux de leurs intérêts, se mirent alors à bailler à cens et à rente2 les parcelles de terre comprises entre la rue de Seine et la future rue Mazarine. Les acheteurs s’engageaient généralement à clore leur terrain de murs et à y bâtir des maisons « manables3 ». Bourgeois de Paris, nobles et gens de robe s’installèrent en ces lieux si hospitaliers. Bordé de belles maisons neuves, le chemin méritait de prendre l’habit d’une rue, ce que l’on fit en 1545 en le pavant.


Les comptes de 1532-1533, que les moines tenaient avec tant de soin, nous révèlent la topographie des lieux4 compris entre les rues de Seyne, Mazarine et de Buci. ainsi qu’elle est reconstituée sur le plan ci-dessous :


Plan de Belleforest (1575)

Sur ce plan, on aperçoit la rue de Buci (n°19 sur le plan), reconnaissable à son coude. Les portes de Buci et de Nesle sont numérotées respectivement 22 et 23. La rue de Seine est bordée par des maisons de chaque côté. Quant à la rue Mazarine, c’est alors un simple chemin de terre le long duquel coure une butte où les archers s’exercent à tirer.


1 La rue de Seine n’a été prolongée jusqu’à la rue de Tournon qu’en 1812.

2 Le cens était une sorte d’impôt foncier d’un montant fixe payable chaque année le 1er octobre tandis que la rente était rachetable par le censitaire.

3 C’est-à-dire habitables

4 Les comptes de l’abbaye sont tenus de façon très particulière : par exemple , tout en faisant l’inventaire des biens, les comptes dévient sur des possessions très éloignées manière de tenir les comptes qui ne respectait pas la topographie