Les Prevost, premiers occupants connus des lieux

Les premières mentions d’existence d’un propriétaire de l’emplacement des numéros 61, 63 et 65 rue de Seine et 70 rue Mazarine datent de cette période heureuse, très exactement du 11 mai 1530. Ce jour-là, l’aumônier de Saint Germain des Prés vendit à Nicolas Prevost un terrain situé entre « la butte où tir[ai]ent les archers allant à la rivière de Seine, près des fossés de la ville1 aboutissant d’un bout à la rue de Seine, par derrière et d’aultre bout devant les fossez de la ville, le chemin entre deux ».



L’aumônier affirma que l’endroit avait une superficie d’un quartier et demi (c.à .d. 37,5 perches) mais il se révéla qu’il avait une superficie de 27,75 perches. La différence était d’importance ! Point content du tout, Nicolas Prévost en appela aux religieux, à l’abbé et au couvent de Saint Germain des Prés afin qu’on procéda à un arpentage officiel. Ceci fut fait en octobre 1531, en sa présence. On lui donna gain de cause et l’on fixa le cens à la somme de 51 sols et 6 deniers parisis, payables chaque année le jour de la Saint Remy. Il ne profita pas longtemps de sa victoire sur la malhonnêteté puisqu’il mourut peu après. En 1532 la parcelle de terre n’était point bâtie et appartenait alors à sa veuve et à ses héritiers.

Son acquisition n’avait sans doute pas été le fruit du hasard mais plutôt celui d’une mode qui s’était installée dans la confrérie des libraires  que François Ier avait tant promue. Dans l’espace délimité par la porte de Buci2, les fortifications de Philippe Auguste, les quais, les rues de Seine et de Buci, la rue Mazarine et la rue de Seine on ne comptait pas moins d’une petite demi-douzaine d’entre eux qui avaient acquis des terrains pour y construire une maison : Gilles et Jean Pascot ainsi que Jean Champion avaient choisi la rue de Buci. Le libraire Philippe Lenoir3 était son voisin immédiat. Quant au célèbre Pierre Roffet, relieur attitré de François Ier, il avait acheté un peu plus loin sur la rue de Seine un terrain de 12 perches 1/4. Sur l’autre rive de la rue, se trouvait Jean Longis, libraire et doreur sur cuir.


Nicolas Prévost n’était pas un inconnu, c’était même un libraire assez célèbre qui éditait des Missels et des Bréviaires. Selon La Caille4, il édita un Missel pour l’abbaye de Saint Victor et en association avec son ami Pierre Roffet et Simon Hadrot, il fit imprimer en 1528 par la veuve Nicole Vostre un Diurnal à l'usage des RR. PP. Celestins. Il faisait aussi grand négoce de livres d’usage et avait adopté une fort belle marque si on en juge la reproduction trouvée dans l’ouvrage de L.-C. Silvestre.

Marque de Nicolas Prevost



Selon le même auteur, il disparut en 1530. Malheureusement, nous n’avons pas d’autres précisions, cependant il est certain qu’il avait quitté ce monde en 15325 et qu’il était encore vivant en octobre 1531, date à laquelle il assistait en personne à l’arpentage de son terrain. Selon les comptes de l’abbaye, le terrain changea de propriétaire entre 1533 et 1535.


Reconstitution du voisinage de Nicolas Prevost



Où la famille Sosson devient propriétaire

Le nouveau propriétaire du terrain 27 perches 3/46 fut Michel Sosson. Il était seigneur de Rouville en Beauce près de Malesherbes et exerçait la charge de procureur au Grand Conseil du roi, ce qui l’amenait à suivre François Ier dans ses déplacements. C’est ainsi que sur les registres du Grand Conseil on le trouve à Orléans, à Melun et à Paris sur un laps de temps de quelques semaines seulement. Il était marié à Marie Martel dont il eut au moins un enfant, René. qui deviendra lui aussi procureur au Grand Conseil du roi.

À l’imitation de ses voisins qui avaient déjà fait construire une habitation et clore de murs leur terrain, Michel Sosson fit bâtir une maison entre 1538 et 15397. Petite, couverte d’ardoise, entourée d’un jardin, elle avait son entrée principale sur les fossés de la ville et une issue sur la rue de Seine.

Extrait du cueillret LL 1125 concernant la maison de Michel Sosson



Quelques années après, au début du mois de mai 1541, il entreprit de faire des travaux de maçonnerie et charpenterie en son « hostel assis à Saint-Germain-des-Près à costé de la rivière de Seine ». Il en signa chez maître Boreau le devis descriptif, faisant affaire avec Jean Péan, maçon et Jean Lanquier, charpentier. Il s’agissait de renforcer un pan de mur du côté de l’abbaye par des fondations de 10 pieds d’épaisseur jusqu’au rez-de-chaussée , puis 18 pouces au-dessus, le tout sur 21 pieds de long et 15 pieds de large. Un autre mur subissait le même traitement. Une trappe serait aménagée pour accéder à la cave dont on devait renforcer la voûte. Il prévoyait aussi de construire un accès au grenier. L’achèvement des travaux était prévu pour la fête de la Saint Jean Baptiste. Les ouvriers n’avaient donc que deux petits mois devant eux.

Malgré sa charge importante de procureur au Grand Conseil du roi, Michel Sosson et sa femme habitaient plus volontiers Orléans ou leur château de Rouville que Paris. Homme d’affaires avisé, il prêtait de l’argent à des seigneurs du Pithiverais moyennant une rente annuelle et perpétuelle. Ainsi en 1540, il remit 120 livres à Galoy Pelart, seigneur de Montigny près de Neufville en Beauce et à Marie de Beauvais sa femme, moyennant une rente de 10 livres tournois que ce dernier garantissait sur ses seigneurie de Montigny, Lollainville et Ennorville ainsi que sur des terres et métairies achetées aux seigneurs d’Acoux et de Chamerolles.

Quelques année après, en 1547, Charles de Lolinville, seigneur de Bytoy en Perche mais demeurant aux Vaulx près d’Estouy et sa femme Marie Le Peige vendirent à Michel Sosson une rente de 18 livres 10 sols tournois dont le paiement était garanti sur leur ferme de Bytoy, paroisse de Guiguernelle et sur 106 arpents de terres labourables à Janville. Ce seigneur pouvait racheter à Michel Sosson sa rente pour 225 livres.

Michel Sosson savait aussi se montrer généreux. En 1549, il donna à Guillaume Veilhac, praticien, 25 écus d’or que lui devait un certain Sulpice Bancelin, prieur commendataire à Saint Jean de Marigné.


Ce sera la dernière fois que nous le verrons vivant à travers des actes notariés. Il serait donc décédé entre 1549 et 1555, date à laquelle sa femme, devenue veuve, fit son testament et ordonnance de dernières volontés8.

C’est « sur ses piedz, sains et bons propos, mémoire et entendement, sans aucune maladye » qu’elle se présente devant Boreau et Lamyral, ses notaires le 21 mai 1555. Elle commença son testament par ces paroles empruntes de philosophie : « Rien n’est plus certain que la mort ni plus incertain que son échéance ». Soucieuse du repos de son âme, elle se recommanda à Dieu, à Marie, à « Michel l’Ange » et à tous les saints. Vingt messes basses seraient célébrées le jour de son enterrement et un service solennel huit jours après en l’église Sainte Catherine d’Orléans ainsi que dans chacune des églises des ordres mendiants avec moult psaumes, De Profundis et autres prières destinées, sans doute, à lui assurer un séjour au Purgatoire le plus court possible. Pour faire bonne mesure, elle léguait à diverses personnes de son entourage la coquette somme totale de 900 écus d’or soleil, à la condition expresse qu’elles prient pour elle.

Consciente de sa condition, elle régla le cérémonial de son enterrement. Elle devait être inhumée devant l’autel Notre-Dame de l’église Sainte-Catherine d’Orléans, sa paroisse. Son corps y serait transporté par six chevaux et douze personnes tenant des torches allumées et conduits par le curé de sa paroisse, ses chapelains et les quatre ordres mendiants de la ville. Sa pierre tombale comporterait son effigie, son nom, son surnom et la date de son trépas. Deux services solennels seraient célébrés, le premier le jour de son enterrement et le second le lendemain au cours desquels douze personnes tenant des torches seraient disposées autour de sa fosse et diraient cinq pater et cinq Ave et deux De Profundis. Tous les jours, pendant un an une messe haute de Requiem serait dite à son intention et à celle de ses parents et amis décédés pour laquelle ses héritiers verseront chaque mois la bagatelle de 10 livres et 6 sols curé de sa paroisse.

Elle léguait à chacune de ses huit « filloles » tantôt dix écus soleil, allant jusqu’à 20 pour celle qui n’étaient point encore établies, tantôt des rentes viagères pour celles qui étaient entrées en religion. Généreuse, elle n’oubliait pas son personnel pour lequel elle prévoyait quelques livres tournois.

Elle vécut cependant encore au moins une dizaine d’années puisque nous la retrouvons le 20 juillet 1564 signant un acte devant les notaires Léal et Viart9. Elle s’était en effet rendue à Paris pour faire don de la moitié de la maison de la rue de Seine à son fils René qui avait repris la charge de son père et à sa belle-fille, Jacquette Moreau. Elle y mettait une condition, cele d’en garder l’usufruit sa vie durant. La maison n’était toujours pas un palais puisque les lieux se composaient « d’une maison, estable, court, jardin, lieulx et appartenances […] assis à Sainct Germain des Prés lez Paris rue de Sayne et ayant yssues sur ladicte rue et sur les fossez d’entre les portes de Nesle et de Bussi10 « . Son voisin de droite était décédé et son terrain partagé en deux : Guillaume Le Noir, libraire avait succédé à son père Philippe en gardant la partie située vers la rue Mazarine et avait vendu à Jean Martin, procureur en la cour du Parlement la partie située le long

Insinuation au Châtelet de l’acte de donation


de la rue de Seine et. À gauche, on trouvait les héritiers de Denis Dupont et leur mère, Agnès Constantin, qui avait eu le temps de se remarier avec un certain Henri Planny et était à nouveau veuve.

Le l6 janvier 1578 fut un jour important pour René Sosson et sa femme : leur fille Marie allait épouser maître René Corrard, avocat en la cour du Parlement et on signait le traité de mariage. Marie Martel, l’aïeule, n’y fut point mentionnée. Cela signifie-t-il qu’elle était décédée ? La dot que versait René Sosson s’élevait à la somme de 10 000 livres dont la moitié serait versée la veille de « leurs espousailles ».

Quelques jours après, René Sosson et son gendre Claude Corrard empruntaient à Antoine Faure, commis au greffe du Grand Conseil, 400 écus moyennant une rente de 33 écus un tiers payables chaque année en quatre fois en l’hôtel du sieur Faure. Les emprunteurs donnaient en garantie la seigneurie de Rouville et la maison de la rue de Seine qui avait bien changé depuis 1564. Elle contenait maintenant « plusieurs corps d’hostel , courtz et jardins » et tenait d’une part aux héritiers de feu Thomas Blanche et d’aultre part à Nicolas Fuissart et autres. Cette rente sera entièrement rachetée le 23 novembre 1583.

Deux ans après, toute la famille Corrard – Sosson s’installait rue de Seine, sans Marie qui était décédée mais avec un fils prénommé Raoul. C’est alors que René Sosson versa le 11 juillet 1580 à son gendre le complément de dot qu’il devait encore, c’est-à-dire 1666 écus 3/4.



Nous perdons ensuite la trace des propriétaires pendant les années qui suivirent puisque aucun compte ni censier de l’abbaye ne sont parvenus jusqu’à nous.

Il est vrai que la belle tranquillité du faubourg fut fort troublée par les guerres de religion entre la Ligue et le futur Henri IV. En 1572, les cris « Saint-Barthélémy » eurent leurs échos dans Saint-Germain-des-Prés lorsque les sbires de Guise poursuivirent les huguenots rassemblés au petit pré aux clercs et dans la rue Visconti qui s’appelait alors rue des Marais et qu’on surnommait le petite Genève. Quelques années après, on se battit avec acharnement au pied de la muraille de Philippe Auguste où les fidèles d’Henri IV, criant vengeance, passèrent au fil de l’épée moult ligueurs. La situation des habitants du faubourg devint si critique qu’on creusa en juin 1589 des tranchées pour se défendre. Le conseil de l’Union avait bien envoyé 150 arquebusiers pour défendre Saint Germain . Mais ceux-ci n’étaient pas capables de tenir devant une armée. On les somma de se rendre sinon le bourg serait rasé. Ils se rendirent et une heure après Henri de Navarre se fit plaisir : il entra dans l’abbaye et monté en haut du clocher, il regarda Paris. On donna même l’ordre d’aller chez tous les marchands de vin et les cabaretiers de Saint-Germain-des-Près, et ils y étaient fort nombreux, afin de rassembler 2000 futailles pour la construction de barricades. L’année suivante, les habitants désertèrent leurs maisons et se réfugièrent dans l’abbaye. À l’automne 1590, le Bureau de la Ville constata la destruction de nombre maisons alors que les troupes d’Henri IV étaient repoussées. Il fut décidé de démolir les maisons qui pouvaient porter préjudice en cas de siège, c’est-à-dire celles qui longeaient les fortifications de Paris. La maison de René Sosson fit partie du lot des destructions11. Il faudra attendre l’entrée d’Henri IV dans Paris, le 22 mars 1594, pour que la paix revienne enfin dans les faubourgs. Saint-Germain-des-Près sortait de cette longue période de guerre complètement ruiné.

Si les moines continuèrent à tenir à jour leur censier durant ces trente années, il n’en fut pas retrouvé. Par contre celui de 1595 nous apprend que les lieux qui nous intéressent avaient changé de propriétaire. Claude Vellefaux12, « juré du roy en l’office de massonnerye et voyer général de la terre et seigneurie de Sainct-Germain-des-Près et ses appartenances » avait pris la place « des héritiers de Me René Saulson13, procureur au grand conseil ».




Plan de Belleforest

1 La future rue Mazarine

2 La porte de Buci se trouvait au bout de l’actuelle rue Saint André des arts, vesr la rue de Buci.

3 Son voisin de droite était Thomas Blanche, bonnetier

4 Histoire de l’imprimerie et de la librairie par Jean de La Caille, Paris 1689.

5 A.N. LL1121

6 950 m2 environ

7 Les comptes de l’abbaye de Saint Germain des Près de 1538-1539 (A.N. : LL1122) indique l’existence d’une maison, non plus d’un terrain vague

8 A.N., M.C. : ET/VIII/81- 21 mai 1555, testament de la veuve Sosson

9 Les minutes du notaire Viart n’existent plus mais l’acte ayant été insinué (A.N. Y105 f°196), nous avons pu en avoir la teneur.

10 Maintenant la rue Mazarine

11 Le censier de 1595 indique que toutes les maisons depuis le jeu de paume de l’Aventure jusqu’à la porte de Buci furent détruites

12 L’orthographe des noms n’étant pas fixée à cette époque , il sera appelé Vellefaux, Villefaux, Vilfaux, Velfaux, de Vellefaux et même une fois Belfaux,. Cependant tous les actes sont signés par lui sous l’orthographe « Vellefaux »

13 Alias Sosson. Dans un acte du …. concernant le 59 rue de Seine (ET/…/…), le nom est aussi orthographié Saulson