La famille Le Boulanger

Extrait du contrat entre L’Espéronnière et Le Boulanger


Le nouveau propriétaire, Macé Le Boulanger, était issu d’une famille de bourgeois de Paris. Feu son père, Eustache Le Boulanger, avait exercé la profession de marchand mercier-grossier et la fonction d’échevin. Sa mère, Marie Target, était fille d’un marchand, bourgeois de Paris. On dit que cette famille prit ce nom parce que, pendant une grande famine, un de ses ancêtres fit distribuer une si grande quantité de pain que le public changea son surnom de Montigny en celui de Le Boulanger.43

Les nombreux enfants du couple avaient largement utilisé les charges anoblissantes de la robe pour entamer une ascension fort prometteuse. Lorsque Macé épousa en 1606 Claude Flamant, la signature du contrat de mariage44 réunit trois de ses trois frères : Eustache qui était à l’époque notaire et conseiller secrétaire du roi  ; Charles, seigneur de la Sablonnière, qui sera reçu conseiller secrétaire du roi en 1610 ; Macé-Charles qui était bourgeois de Paris comme son père. Ses beaux-frères, Pierre de Hodicq et Nicolas Leclerc de Lesseville ne déparaient pas l’assistance, ils étaient tous deux conseillers du roi et auditeurs des comptes. L’ambition qui menait la famille pointait à travers la qualité cette amis invités au mariage. Deux étaient conseillers du roi en ses conseils d’État et privé et présidents en sa cour de Parlement, deux autres premiers présidents en la cour des Aides, sans compter quelques maîtres des Requêtes. Quant à Macé Le Boulanger, il exerçait la fonction de conseiller en la cour des Aides, mais l’ascenseur social allait bientôt lui permettre d’être reçu au Parlement de Pari,s en la 4e chambre des Enquêtes, le 1er juin 1611. Il sera président en la même chambre le 6 mars 1624.

Au jour de la signature du contrat d’acquisition de la maison de la rue de Seine, le 5 mai 1645, le président Le Boulanger était le plus heureux des hommes : sa femme avait accouché, après quelques 25 ans de stérilité45, d’un fils qu’il prénomma modestement Auguste Macé. Il venait aussi d’être nommé prévôt des marchands de Paris.

En effet, le 22 avril 1641 vit l’élection du président Le Boulanger à cette haute fonction. Les deux personnages qui l’avaient précédé étaient morts sans avoir eu le temps d’exercer leur charge, funeste présage qui ne le fit pas reculer. D’ailleurs le pouvait-il puisque le roi lui-même choisissait l’heureux élu ? Le 16 avril de cette année-là, les quatre échevins, les seize conseillers et les onze quarteniers de la ville se réunirent en la grande salle de l’Hôtel de Ville pour lire la lettre de cachet du roi qui désignait le président Le Boulanger comme futur prévôt des marchands et leur demandait de préparer « l’élection ». Tous les cinquanteniers, avec huit notables de la ville, furent alors convoqués pour le 22 du même mois à 8 heures. Il en fût fait de même pour quarante archers qui devaient se munir de leurs arquebuse et hallebarde.

L

Jeton de prévôt des marchands de Macé Le Boulanger

e fameux 22 avril donc, les échevins et le greffier, vêtus de leur robe mi-parties, accompagnés des quarteniers et des conseillers, se rendirent en l’église du Saint Esprit où une messe solennelle fut célébrée. Ensuite, chacun prit place dans la grande salle de l’Hôtel de Ville. Monsieur de La Tour, premier échevin, expliqua à l’assemblée que le roi désirait qu’on procéda à l’élection d’un prévôt des marchands pour le temps qui restait de la précédente prévôté46 et pour les deux années suivantes. On élut alors quatre scrutateurs. Ceci fait, un étrange ballet commença : les échevins se levèrent et prirent place sur les bancs qui étaient derrière tandis que les scrutateurs occupèrent leur place. Le président de Novion avait en main le tableau juratoire et le sieur de Santeuil tenait le chapeau mi-partie pour recevoir les voix. On se mit alors à faire le simulacre de vote. Le résultat qui fut enregistré par le greffier ne surprit personne.

I

Le prévot des marchands et les échevins de Paris

Philippe de Champaigne 1648

Ce tableau montre les robes mi-parties

l fallait maintenant présenter le nouveau prévôt des marchands au roi. On prévint donc notre président Le Boulanger de se trouver à 6 heures du matin à l’Hôtel de Ville. On partit avec quantité de personnes de condition qui remplissaient huit carrosses et l’on se rendit à Saint Germain en Laye. Tout ce petit monde monta le grand escalier et fut introduit dans le cabinet du roi. Très émus, ils virent Sa Majesté assis en sa chair et entourée de gentilshommes. Monsieur de La Tour, premier échevin, s’agenouilla et fit son petit discours destiné à présenter le résultat du scrutin. L’émotion du président Le Boulanger arriva à son plus haut lorsque le roi l’invita à s’approcher et lui dit « Vous avez toujours vescu en homme de bien et d’honneur et suis grandement satisfait de vostre service, aussy vous ay-je choisy pour exercer cette charge de prevost des marchan espérant que vous prendrez soin de mes affaires et aurez celuy du publicq en recommandation
47 ». Le Boulanger prêta serment au roi. Enfin toute la compagnie remonta en carrosses pour se rendre à Rueil afin de saluer la reine et les enfants de France. À partir de son élection, sa vie fut rythmée par les cérémonies, les processions et les Te Deum comme celui qui fut célébré à l’occasion de la victoire de Rocroi « par la duc d’Angeuin  (sic) « , le 27 mai 164348.


Présentation du prévôt des marchands et des échevins à Louis XIV et la régente Anne d’Autriche. Par C.laude Mellan (1644)

Le Boulanger est le personnage près de Louis XIV à gauche


Cependant tous les honneurs que les six années de prévôté lui donnèrent ne firent pas perdre de vue au président ses intérêts.

Il loua en 1648 pour neuf ans à Pierre de Vesnes, sieur du Plessis, écuyer de la grande écurie du roi, et à son épouse, la maison de la rue de Seine où demeurait encore la dame Dulac. La location comprenait  le corps de logis sur la rue, la grande cour, la grande maison sur le jardin, le jardin et le petit sur le derrière ». Notre président avait le sens des affaires. Il convint avec les preneurs qu’ils pouvaient faire construire à leur frais des écuries au fond du jardin. Afin d’en permettre l’accès, il les autorisa à construire un passage sous la maison, du côté gauche49, toujours à leurs frais, bien entendu. Et comme il n’y a pas de petits profits, il demanda aux preneurs que les arbres coupés pour faire place aux constructions soient portés chez lui et que les murs des voisins soient renforcés. La bail était fait moyennant la somme de 2400 livres par an, non compris les taxes pour les pauvres, les boues, les chandelles et les lanternes.

Le président avait la réputation d’être immensément riche, cette réputation n’était point usurpée puisqu’il avait accumulé un nombre phénoménal de rentes et de biens immobiliers. Tallement des Réaux disait de lui qu’il était un illustre avaricieux et qu’il racontait à qui voulait bien l’entendre: « J’ay quatre-vingt mille livres de rentes ; je creveray ou j’en auray cent » Il en eut cent et en creva », ajoutait-il.

En effet, il mourut peu de temps après, non d’avarice mais d’apoplexie. Voici les détails de cette affaire :

Le jeudi 16 juillet 1648, il y avait séance au Parlement, toutes ses chambres rassemblées en la grande salle Saint Louis, en la présence du duc d’Orléans. La révolte y grondait depuis qu’Anne d’Autriche avait tenu un lit de justice afin de forcer l’enregistrement d’édits fiscaux que, d’ailleurs, le Parlement s’était empressé d’annuler. Depuis les cours souveraines avaient rendu « arrêt d’union » afin de se rassembler pour faire front. On avait présenté à la régente un programme de réformes qui voulaient diminuer du quart les tailles, supprimer les intendants des Finances dans les provinces, instituer au Parlement le droit de voter librement les édits et de défendre de lever des impositions sans la vérification du Parlement. Le duc d’Orléans faisait le lien avec la régente afin d’apaiser les conflits.

Ce jour de juillet, comme les précédents, le duc était venu en compagnie de Montbazon, Joyeuse, Elbeuf, Brissac et Retz. Ils s’étaient installés en la Sainte Chapelle. Le premier président les firent chercher en grande pompe par deux présidents et deux conseillers de la Grand-Chambre. Son Altesse Royale arriva au milieu des deux présidents, précédé par les huissiers et les Suisses avec la hallebarde, et ensuite les gardes. Monsieur alla à sa place, les ducs s’installèrent à son côté. Les choses étaient calmes. On délibéra sur la nécessité de la vérification par les chambres des impositions. Les jours précédents, les débats sur ce sujet avaient déjà soulevé grande houle. La chaleur monta lorsque chacun fut invité à opiner.

Le tour de Macé Le Boulanger vint très vite : il fut le troisième après le doyen et le conseiller Broussel. Avec beaucoup de fougue, il prit parti, mais « son grand âge ne luy permettant pas une belle expression », il était fort peu écouté.« M. le président Potier luy ayant dit qu’il falloit éviter toute occasion de discordance avec la Cour des aydes, ce bonhomme répartit avec véhémence50 » car il était tout pris par son sujet. Il s’étendit ensuite sur le zèle de la Compagnie, toute au service du roi, et pour se justifier cita un passage de Cicéron où il est dit qu’il faut orner l’Italie avant de penser à orner nos maisons. Un mouvement de moquerie traversa l’assemblée qui avait rapporté ces propos aux biens que le cardinal Mazarin accumulait pour lui en France. Même le duc d’Orléans se mit avec les rieurs. Notre bon vieillard, ému plus que de raison par l’incompréhension dont il était l’objet, s’emporta, ses yeux se révulsèrent, une pâleur envahit son visage, il tomba à genoux et mourut fort proprement. Monsieur Hilerin qui siégeait à son côté lui donna l’absolution.

Extrait des registres du Parlement X1A 8817



Cet accident ayant ému toute l’assemblée, on interrompit la séance quoique dix heures ne fussent pas encore sonnées.

Sa mort fit grand bruit dans Paris. Il fut inhumé en la chapelle Saint Claude du couvent des Augustins Réformés qu’il avait fondée en 1628 avec son frère et sa sœur pour « y faire commodément et sans distraction ses dévotions » et y avoir sa sépulture51.


Parce qu’il laissait un enfant mineur, on procéda à l’inventaire de ses biens52. Ce que Tallement des Réaux disait de lui se révéla vrai, il avait accumulé une véritable fortune et laissait à son décès sept maisons qui rapportaient 10 800 livres par an, sa maison petite rue de Seine53 qu’il avait achetée 48 000 livres en 1637, la seigneurie de Viarmes acquise pour 108 000 livres en 1642, des terres à Longjumeau, Suresnes, Puteaux, Lagny, Torcy, Montrouge, un fief à Villiers le Bel et plus de 55 000 livres de rentes diverses, sans compter les revenus très fructueux de ses nombreuses terres.

Son fils Auguste Macé hérita et sa mère en fut nommée tutrice. Ils continuèrent à habiter leur hôtel de la Petite rue de Seine qui était devenue rue des Petits Augustins. Le fils, voulant suivre l’exemple de son père, présenta en 1650 une demande de dispense d’âge54 au Parlement pour y entrer comme conseiller, elle lui fut refusée. Il réitéra le 3 mars 1651 mais n’obtint toujours pas satisfaction. On l’accepta enfin le 18 août de la même année malgré un doute sur lequel on jeta un voile pudique : le registre de son père le tenait pour être dans sa 22e année alors qu’on pensait qu’il n’avait que 19 ou 20 ans55.

Il commença sa carrière comme conseiller au Parlement le 7 février 1652, devint maître des requêtes en 1658, conseiller d’Etat l’année suivante et enfin président au Grand Conseil le 22 avril 1690. Ce dernier office lui coûta la somme fabuleuse de 160 000 livres qu’il paya le 16 avril 1690 entre les mains du trésorier des parties casuelles, le sieur Berthin. Pour régler ce montant, il dût emprunta 24 000 livres à un conseiller au Parlement de Metz, 10 000 livres à une dame Berthelot et 15 000 livres à dame Marie Amelot.

Cependant sa mère devenait âgée. Sentant qu’elle allait bientôt quitter cette terre, elle fit venir son notaire le 12 novembre 1660 en son hôtel de la Petite rue de Seine. Elle était gisante sur un lit dans sa chambre du second étage qui avait vue sur la cour et le jardin. Elle dicta ses dernières volontés56 et mourut.

Comme elle l’avait exigé, sa dépouille fut transportée en l’église Saint Sulpice où un service fut dit, puis on déposa son corps dans un carrosse et on se dirigera vers le couvent des Petits Augustins où on célébra un second service le lendemain. Ensuite sa dépouille fut déposée dans un caveau a côté de son mari en présence de tous les religieux du couvent qui tenaient un cierge à la main. Elle léguait plus de 6000 livres à différents couvents et hôpitaux et 1 800 livres à ses 8 domestiques ainsi que 1000 livres de rente viagère à deux d’entre eux.


En 1666, Geffroy Macé Le Boulanger eut l’intention d’épouser la gente damoiselle Anne de La Forest, « usante et jouissante de ses biens », ce qui l’excluait de la catégorie des tendrons, mais supposait une certaine fortune. Contrairement à l’usage du temps, le contrat qui fut signé le 30 octobre 166657, réunit une assemblée fort modeste si on pense à la position sociale du président Le Boulanger. Seuls, le frère du marié et un ami vinrent signer au contrat de mariage. Quant à la parenté d’Anne, elle se réduisait à sa soeur et à sa mère. Nous étions loin du ban et de l’arrière-ban du mariage de son père. Le couple adoptait le régime de la séparation de biens et le futur douait sa future épouse de 6 000 livres de rente sa vie durant, s’il n’avait point d’enfant, et de 5 000 livres, dans la cas contraire. À la mort de son mari, elle pourrait choisir son domicile parmi les maisons parisiennes de son époux. Pour prouver l’amitié qu’il portait à sa future femme, notre homme lui donnait 10 000 livres en joyaux et bijoux et 30 000 livres pour compenser la séparation de biens. Il lui promettait encore 30 000 livres s’il décédait avant elle. On ne saurait être plus galant …

Ils se marièrent le 3 novembre suivant et n’eurent qu’une seule fille qui naquit le 23 septembre 1670. Ils la prénommèrent Marie Anne Claude Auguste, tout simplement.


Pour cet heureux père, sa fille unique était la prunelle de ses yeux. Sans doute prit-il grand soin de son éducation (sans grand succès en ce qui concerne l’orthographe, si on se base sur la lecture de son testament) et du choix d’un mari. L’époux élu par Le Boulanger fut Nicolas Pierre Camus, fils de Nicolas Camus, seigneur de Pontcarré. On trouve dans ses ancêtres des premiers présidents au Parlement de Bordeaux, d’Aix, un échevin de Lyon. Son père était conseiller d’honneur au Parlement de Paris et dans tous les parlements du royaume58. À l’époque du mariage, Nicolas Pierre était chevalier, conseiller du Roy en tous ses conseils, maître des requêtes en son hôtel.

La signature du contrat de mariage prit les couleurs d’une audience de rentrée du Parlement tant les membres de cette haute assemblée étaient venus nombreux signer au contrat. L’événement eut lieu le 28 avril 1695, chez le notaire de Clersin59. Son père avait choisi minutieusement ses invités. On comptait parmi eux Achille du Harlay, premier président de la cour du Parlement, l’abbé de Thou, la veuve de François Le Boutillier de Senlis, marquis de Moussy, tous alliés aux Pontcarré. Du côté Le Boulanger, la veuve de Michel Le Tellier, ancien ministre d’État et celle de François Michel Le Tellier, marquis de Louvois, cousine, Nicolas Leclerc de Lesseville, président de la 5e chambre des enquêtes de la cour du Parlement, cousin issu de germain signèrent aussi. Les futurs adoptaient le régime de la communauté de tous les biens. En faveur du mariage le président Le Boulanger ne lésina point. Il donna en dot à sa fille l’énorme somme de 250 000 livres qui produisait une rente de 10 000 livres par an à prendre sur les revenus de la terre de Quincampoix. d’une ferme située à Moisselle et d’une grande maison de la rue des Grands Augustins, ainsi que celle de la rue de Seine. On disait dans l’acte que cette dernière était« divisée en deux, [ayant] chacune leur porte cochère et cour séparée y compris le corps de logis de devant [avec] deux boutiques, chambres et logement au dessus » Il en garantissait un revenu de

3 000 livres par an auquel il ajoutait celui d’une autre maison, rue Simon Le Franc. Après l’expiration des baux en cours, les futurs époux devaient administrer eux-mêmes les biens loués.

Malgré cette clause, Auguste Macé Le Boulanger continua à gérer les maisons de sa fille et signa le 17 septembre 169660 un bail à Louis de Saint Omer, tenancier de chambres garnies, et à Catherine Parastre sa femme. Il leur louait pour 6 ans « une grande maison à porte cochère, scize rue de Seyne, appelée L’Académie61, consistant en un grand corps de logis apliqué à salle par bas, plusieurs chambres, antichambres, grenier au dessus et caves au dessous, avec une aisle répondant sur la court estant au dessus des escuries consistant en plusieurs chambres, grande court, remise de carrosses, une grande escurie dans lad cour, une autre petite court dans laquelle il y a une autre petite escurie, jardin derrière et communauté du puits qui est dans l’allée qui conduit au corps de logis de derrière, lieux, aisances et autres appartenances et dépendances de lad grande maison ainsy qu’elle se poursuit et comporte ». Il en exceptait le bâtiment sur rue avec ses deux boutiques et les chambres et grenier qui étaient au dessus, ainsi que le logement, l’écurie, le hangar avec la cour et l’allée qui était à côté et derrière le jardin et dont l’entrée se faisait par une autre porte cochère. Le bail en était fait moyennant la somme de 1800 livres pour la première année et 2000 livres pour les 5 années suivantes. En outre les preneurs devaient payer les taxes pour les pauvres, les boues, lanternes, chandelles et toutes autres charges de ville et de police. Très curieusement et dès le lendemain, les protagonistes se retrouvaient devant le notaire. Le président leur louait cette fois la boutique à droite de la porte cochère, une chambre au premier étage ainsi que le grenier au-dessus et enfin un des deux bouges qui surmontait la porte cochère ainsi que l’escalier à côté de la boutique. Il en coûtait pour les preneurs un supplément de 150L par an. Quatre ans plus tard, Nicolas Camus de Pontcarré qui avait pris les affaires en main renouvelait leur bail, pour 2400 livres par an62.

Le 19 décembre 169663, le président louait, cette fois pour 7, ans à Jérémie Lecomte, marchand, et Marie Lhuillier sa femme un manège appelé aussi l’Académie . Il consistait en une cour, un petit bâtiment situé derrière la grande maison et composé de quatre chambres, deux en rez-de-chaussée et deux au dessus, une écurie et un appentis. Était compris dans la location la porte cochère qui donnait sur la rue et la longue allée qui permettait de parvenir aux lieux loués et qui avait un puits en commun avec les locataires de la grande maison. Il y ajoutait une cave sous la grande maison et se réservait par contre la boutique qui était à côté de la porte cochère et les logements au-dessus de la boutique et de la porte cochère occupés par le sieur Gobert, sellier. Le bail était fait moyennant la somme de 750 livres par an.

Afin d’obtenir un meilleur rapport des lieux, le président avait donc partagé les lieux en trois parties : la grande maison, la partie arrière desservie par la longuerelle et les bâtiments du devant.


Mariés, les jeunes époux vinrent habiter le nid que le président Le Boulanger leur avait préparé dans son hôtel de la rue des Petits Augustins. La chambre de madame, que l’on appelait la chambre dorée, avait vue sur le jardin. Un lit à baldaquin à hauts piliers et entouré de rideaux de tapisserie à fond blanc et doublé de satin à fleurs trônait. La courtepointe était de satin de Lassine et de damas. Il était entouré de six fauteuils de noyer recouvert de tapisserie de point à la Turque de plusieurs couleurs. Une table de marbre couleur d’agate ondée de noir à pied de bois doré reflétait la lumière des candélabres. Son père avait mis à sa disposition un somptueux bureau de marqueterie de cuivre et d’ébène à sept tiroirs et un guichet. Pour vérifier l’éclat de son teint il avait disposé un grand miroir de glace à chapiteau et bordure aussi de glace orné de petits agréments violets. Trois autres fauteuils en bois de noyer tourné invitaient au repos et à la conversation. Enfin des grands rideaux rouges à six lais encadraient les fenêtres. Il avait installé dans un petit cabinet attenant un long sofa, six chaises et deux tabouret de bois doré recouvert de damas vert galonnée de trois galons. Les murs étaient aussi tapissés de damas vert. Un petit cabaret de bois noir « façon de la Chine » enfermait des tasses, leurs soucoupes, un pot à thé et un autre à sucre, le tout en porcelaine fine.

Une salle à côté, servant de chambre aux aînés des enfants, était tapissée de damas cramoisi et contenait deux lits à bas piliers et à impériale fermée en même tissu, six fauteuils et quatre chaise de bois doré ainsi que huit fauteuils et six chaises. Tous les sièges étaient recouvert de différentes étoffes de couleur rouge. Les fenêtres qui avaient vue sur le jardin étaient encadrées de taffetas cramoisi.

Les murs de la garde-robe de la dame de Pontcarré étaient recouverts de tapisserie de Bergame. On y avait disposé quatre chaises, une armoire de frêne à deux battants et deux tiroirs ainsi qu’un petit bureau en noyer à cinq tiroirs et un volet. Une petite table en guéridon avec un miroir de toilette complétaient le décor. En ouvrant l’armoire on découvrait une multitude d’habits dont les plus remarquables étaient en brocard, les uns d’or à fleurs cramoisi, les autres à fond d’argent et à fleurs jaunes ou encore couleur de feu et rayés d’or.

Son mari avait une chambre dont les fenêtres avaient vue sur la cour. Le lit était à hauts piliers, encadré par quatre rideaux de tapisserie au point d’Angleterre, doublé de satin jaune à fleurs blanches, la housse de la couche était de taffetas violet et blanc. Huit fauteuils en noyer et deux chaises étaient recouverts les uns de toile rouge, les autres de tapisserie au point d’Angleterre comme l’écran de la cheminée et deux tabourets. Nicolas Pierre travaillait sur un grand bureau à cinq tiroirs et un volet avait un grand miroir et un tapis de cuir rouge. Ses pieds étaient en bronze doré. Une table de marqueterie de bois de cèdre et d’olivier supportait une pendule faite par Gaudron, horloger réputé. Le cabinet attenant avait ses murs recouverts de tapisserie de Bruges sur lesquels on avait accroché un Saint-Jean et une trentaine de petites estampes, un petit miroir de toilette et deux thermomètres. Trois chaises, un fauteuil de maroquin et un bureau sur un gradin accompagné d’un petit guéridon le meublait. On y trouvait plus de cinq cents livres qui commençaient une bibliothèque qui deviendra célèbre.

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Le jeune couple coulait dans ces lieux des jours heureux et avait déjà en cette année 1702 deux garçons, Nicolas Auguste et Geffroy ainsi qu’une une fille Marie Françoise. En ce printemps de 1702, la dame accoucha d’un troisième garçon : Jean Baptiste Elie qui naquit le 20 mars.

Soudain ce fut le drame. La mère mourut le 27 mars 1702, donc une semaine après la naissance de son dernier fils. On imagine aisément combien la perte cruelle de sa fille adorée fit le désespoir de son père. L’office funèbre fut célébré à Saint Sulpice, leur paroisse, puis elle fut inhumée en la chapelle Saint Claude des Petits Augustins. Étrangement, le mari ne découvrit le testament de sa femme qu’au mois d’août 1703, donc plus d’un an après la disparition de sa femme.

Elle l’avait rédigé à Maffliers cinq ans auparavant. Elle y recommandait, bien entendu, son âme à Dieu et demandait aux Petits Augustins de célébrer mille messes –ce qui n’était pas rien ! - pour le repos de son âme ainsi qu’une messe annuelle. Elle voulait être inhumée dans la « cave » de son père aux Petits Augustins.

L’enveloppe du testamernt de la fille du président Le Boulanger


Elle léguait à sa chère tante, mademoiselle de La Forest, deux mille livres de rente annelle plus son linge et sa garde-robe. Elle ajoutait en prime ses « petite bougles daureille de diaman » et ses « quatre bouton de diaman ». À son père, elle donnait la bague qu’il lui avait offerte quelques temps auparavant et à sa gouvernante quatre cents livres de rente annuelle. À différentes personnes de son entourage, elle léguait force diamants et petites rentes. Enfin elle nommait son mari exécuteur testamentaire.


Le 10 avril suivant, les parents et amis furent réunis devant Me Jean Le Camus, commissaire au Châtelet, afin d’élire les tuteurs de ses tout jeunes enfants64. On comptait dans cette assemblée tout d’abord les deux grands-pères de ces pauvres enfants . Auguste Macé Le Boulanger et Nicolas Camus de Pontcarré. Les entouraient plusieurs personnages de haut rang parmi lesquels on remarquait Louis Le Boulanger, conseiller du Roy en ses conseils et maître des Requêtes de son Hôtel, cousin ; Antoine Charles Le Boulanger, conseiller en la cour du Parlement ; Ursin Durand de Pontcarré, conseiller au Parlement, oncle ; Etienne Bochard de Saron aussi conseiller au Parlement, oncle par alliance.

L’assemblée élut les deux aïeux tuteurs honoraires, un certain Jean Barbier comme tuteur onéraire, c’est-à-dire chargé de la gestion de leurs biens, aux appointements de 100 livres par an. Quant au père, il eut la garde-noble de ses enfants.

Un an après, en mars 1703, le veuf, qui était plutôt un veuf joyeux, se remaria avec Marie Françoise Michelle de Bragelongne. Hélas, elle mourut à son tour deux ans après, en juin 1705. Pas du tout découragé par ces tristes expériences, il convola à nouveau avec Jeanne Marguerire de Boyvin qui, elle, résista un peu mieux et ne rendit son âme à Dieu que le 3 juin 1718. Elle avait 34 ans.

Sans doute un peu ébranlé, il attendit cette fois-ci 5 ans avant d’oser reprendre femme. Il alla chercher la volontaire dans sa famille puisqu’il se maria le 23 septembre 1723 avec sa cousine Anne Laisné.

Pendant toutes ces aventures matrimoniales, il avait abandonné « le nid d’amour » de la rue des Petits Augustins pour s’installer rue de Vaugirard en l’hôtel familial. Cependant son premier beau-père ne lui en voulut point et lui garda toute son affection. Il la lui prouva en autorisant ce passionné de chasse qu’était son gendre d’user sa vie durant de ses terres de Viarme et Seugy comme bon lui semblerait, sans que ses enfants puissent un jour l’en empêcher, d’y inviter qui il voulait, de loger avec ses amis au château de Viarmes, de se servir des meubles, vaisselle et linges et de profiter de son potager et de ses arbres fruitiers. Tous les termes de cet accord furent d’abord signés sous seing privé puis devant notaire le lendemain65.

La vie continua. Geffroy Macé et Jean Baptiste Elie, deux des enfants, grandirent sous l’œil attentif de leur grand-père. Les deux autres moururent au grand désespoir de l’aïeul qui continua à gérer au nom de ses petits-enfants les biens qu’il avait donnés à sa chère fille.

Ainsi en 170966, il loua pour 9 ans et pour 900 livres à un certain Michel Lecouffier, maître sellier, les locaux situés derrière la grande maison. Remarquons que le président avait profité du changement de locataire pour appliquer 20% d’augmentation. Pour ce prix, le nouveau preneur disposait, comme son prédécesseur, de la place servant de manège, du petit bâtiment d’un étage au-dessus du rez-de-chaussée qui comportait au total quatre chambres. S’y ajoutaient une cave sous le grand corps de logis, le hangar à carrosses, l’écurie, l’appentis, la porte cochère et une des boutiques sur rue ainsi que des logements au-dessus et la longuerelle desservant les lieux et le puit commun.

Le 4 juillet suivant67, il louait cette fois la grande maison à Thomas Georgette, sieur du Buisson, maître barbier perruquier baigneur qui demeurait rue du Sépulchre. Le bail de 9 ans comprenait la grande maison avec salles au rez-de-chaussée, plusieurs chambres et antichambres au premier et un grenier au dessus, des caves au dessous et une aile sur la cour comportant des écuries et des chambres au dessus, la grande cour devant avec une remise de carrosses et une grande écurie, une deuxième petite cour avec encore une écurie et le grand jardin. Les locataires du manège partageaient avec eux le puit et l’allée qui allait au jardin. Il louait aussi la boutique à droite en entrant avec une chambre au dessus et son grenier ainsi que les deux bouges au dessus de la porte cochère. Il mettait hors bail la boutique à gauche de la porte cochère et les chambres au-dessus qui étaient maintenant occupées par un certain sieur Nouin et sa femme. Le bail s’élevait à 2100 livres annuelles plus les différentes taxes sur les boues et lanternes.

Le 19 août 1712 vit le décès d’Auguste Macé Le Boulanger qui était alors très âgé. Son testament, qu’il avait pris soin de rédiger 6 mois auparavant, reflétait bien sa personnalité. Ses dernières volontés, rédigées en une petite dizaine de pages, ne contenaient pas moins de 23 « je veux «  ou « j’ordonne » contre 5 petits « je désire » ou « je souhaite ». Il y montrait son attention pour son personnel puisqu’il léguait 4600 livres à seize de ses domestiques, plus à six autres un total 1250 livres de rente. Il demanda, pour le repos de son âme que l’on dise à son intention plus de 4 000 messes.

Il légua à son petit-fils aîné, Geffroy Macé sa baronnie de Mafliers et ses châtellenies de Moussoult et Béthemont. À Jean Baptiste Elie, son petit-fils cadet, revint sa terre et

Testament le Boulanger. Extrait


châtellenie de Viarmes avec les haute et moyenne justices ainsi que celles de Seugy et de Belloy, à charge pour lui de verser à son aîné 30 000 livres pour compenser la différence de valeur.

Son homme de confiance et secrétaire, le sieur Cyvadat, devint tuteur onéraire des deux enfants tandis que leur père, Pierre Nicolas Camus de Pontcarré était leur tuteur honoraire.

L’inventaire révéla que Macé Le Boulanger avait joui d’une immense fortune dont il avait, il est vrai, hérité une partie de son père. Il possédait dans Paris plusieurs maisons de rapport et hors Paris des propriétés importantes comme celle de Viarmes, Maffliers et Quincampoix. On apprit aussi qu’il avait versé la somme de 130 000 livres pour sa charge de président au Parlement.


Les Camus de Pontcarré


Georges Cyvadat, tuteur onéraire des deux enfants encore mineurs, continua à gérer leurs comptes. Il loua à la princesse de Conty68 puis au marquis de Persan69 le bel hôtel de la rue des Petits Augustins (aujourd’hui rue Bonaparte) que son aïeul avait occupé.

Les deux frères suivirent tout naturellement des carrières au Parlement. L’aîné y fut reçu conseiller dans l’année de ses vingt ans, en 1718, puis maître des Requêtes trois ans après et premier président au Parlement de Rouen en 1726. Entre-temps il avait épousé Marie Anne Madeleine de Jassaud qui mourra, elle aussi, en couches à 23 ans, lui laissant deux filles.

Quant à Jean Baptiste Elie, il continua la tradition en étant reçu conseiller au Parlement le 21 février 1721 avec une dispense d’age puisqu’il avait 19 ans. Il devint maître des requêtes en 1726 et épousa Geneviève Paulmier de La Bucaille, fille d’un conseiller au Parlement.

Lorsque le cadet atteignit sa majorité, en 1726, le tuteur lui présenta ses comptes de tutelle qui donnèrent lieu à quelques contestations. Geffroy Macé estimait que certaines dépenses qu’on lui imputait ne devaient pas y figurer et que par contre certaines recettes devaient y être augmentées en sa faveur. Aignan Cyvadat le prit de très haut et voulut se pourvoir en justice mais la mort l’atteignit.

Finalement, les héritiers ne voulant pas s’engager dans des procès trop considérables décidèrent en 1732 de transiger. On fit deux états séparés, l’un pour le seigneur de Pontcarré, Geffroy Macé, et l’autre pour le seigneur de Viarmes, Jean Baptiste Elie. Après avoir encore corrigé quelques erreurs et refait les calculs, on s’aperçut que la recette (en 12 chapitres) de l’aîné montait à quelques 741 900 livres alors que les dépenses (en 16 chapitres) atteignaient le modeste chiffre de 722 700 livres. Il y avait donc un excédent, ce qui n’était pas le cas pour le plus jeune. Le seigneur de Viarmes avait dépensé 495 600 livres contre une recette de 463 600. Le seigneur de Pontcarré devait donc à son frère 19 200 livres.

Généreusement, il lui versa immédiatement la somme de 1 200 livres en promettant de lui bailler le restant le premier janvier suivant. Il en garantit le payement sur le produit d’une coupe de bois70.


Après avoir réglé leur différend, les deux frères firent estimer par deux experts jurés du roi les biens immobiliers de la succession de leur aïeul qui étaient si importants que l’expertise dura un an et trois mois, de novembre 1732 à février 1734. Elle nous permet d’avoir une description détaillée de la maison de la rue de Seine71.

Le président Le Boulanger avait, on l’a vu plus haut, divisé les lieux en plusieurs parties afin d’en obtenir un meilleur rapport. Ils comportaient donc sur la rue deux portes cochères, l’une desservait le bâtiment sur rue, le bâtiment en aile à droite de la cour et le grand corps de logis entre cour et jardin, l’autre permettait d’accéder par un long passage à une grande cour et à des constructions qui servaient autrefois de manège .

Le bâtiment sur rue qui s’étendait à gauche jusqu’au-dessus de l’entrée de la longuerelle, n’avait qu’un seul étage. Au rez-de-chaussée, la porte cochère était encadrée d’un côté par une boutique et de l’autre par une salle qui avait servi autrefois de boutique. Le premier étage comportait deux grandes pièces à cheminée avec chacune une croisée sur la rue, celle de gauche s’étendait au-dessus de la seconde porte cochère. Un « donjon72 », auquel on accédait à partir du premier étage par cinq marches, surmontait le passage cocher, il était couvert d’ardoise, le reste de la toiture étant en tuile. On avait adjoint à ce bâtiment sur rue un petit édifice d’un étage, en excroissance sur la cour, à droite de la porte cochère. Curieusement, au bout à droite, on avait construit un deuxième petit « donjon « qui était plus élevé que le précédent parce qu’il faisait suite au bâtiment en aile à droite de la cour qui comportait deux étages au-dessus du rez-de-chaussée. IL existait donc sur la rue un petit troisième étage en pavillon élevé au-dessus du comble. Celui-ci était couvert d’ardoise.

Au fond de la cour s’élevait un corps de logis entre cour et jardin qui comportait maintenant deux étages. On entrait par un perron de sept marches encadré de deux rampes. Un grand vestibule conduisait au jardin. À sa gauche partait un escalier dont, cela est bien précisé, les marches des premier et troisième étages étaient en pierre et celles du deuxième, en bois, permettait d’accéder aux étages. À droite de ce vestibule, une antichambre éclairée sur la cour desservait un corridor qui avait aussi fenêtres sur cour. Ce dernier conduisait à une grande chambre à cheminée éclairée par deux croisées sur le jardin après laquelle une garde-robe y avait aussi son dégagement. Le tout était carrelé. Une autre chambre parquetée lui succédait dont une porte ouvrait sur un petit édifice en angle sur le jardin élevé d’un étage carré au-dessus du rez-de-chaussée, couvert de tuile en appentis. On pouvait aussi y accéder du jardin par un perron de six marches. Au bout du corridor, il fallait descendre trois marches pour parvenir à une salle de bain. Éclairée d’une croisée sur une petite cour, cette pièce avait une petite chambre à cheminée au-dessus. En montant le grand escalier, on arrivait à un palier qui desservait une chambre en entresol au-dessus de la longuerelle dont les deux fenêtres donnaient sur le jardin et sur la cour. Le premier étage au-dessus de l’entresol contenait une grande chambre divisée en trois parties formant antichambre, chambre et garde-robe. À droite du palier, les lieux étaient distribués comme au rez-de-chaussée, à savoir antichambre menant à un corridor qui desservait une garde-robe et une grande chambre à cheminée, le tout carrelée de carreaux de terre cuite, puis à une autre grande chambre à cheminée et parquetée et à un cabinet en aile sur la cour.

Au second étage, on trouvait à gauche une grande pièce à cheminée, une garde-robe et antichambre. À droite les lieux étaient identiques à ceux du dessous sauf la deuxième chambre qui était aussi carrelée. Au bout du corridor, une porte permettait d’entrer dans le grenier du bâtiment en aile. Au-dessus du second étage, on avait aménagé un grenier dans la partie droite du principal corps de logis et une chambre lambrissée dans celle de gauche. Le toit était en partie couvert de tuile, en partie d’ardoise avec un faîtage de plomb.

À partir de là, la description des lieux devient un peu plus confuse : il semble qu’au rez-de-chaussée à droite et dans ce corps de logis se trouvait une cuisine avec un fourneau potager, une pierre d’évier, une cheminée avec plaque de fonte et une barre de feu au-devant du contrecoeur. On y accédait par quatre marches. Après cette cuisine, on accédait à deux écuries simples auxquelles on pouvait aussi arriver par un passage aménagé sous le bâtiment en aile sur la cour. Sous la totalité de ce principal corps de bâtiment on découvrait six berceaux de caves.

Le bâtiment en aile sur la cour comportait en son extrémité vers la rue un escalier à vis qui servait à communiquer aussi bien au premier étage du bâtiment en aile qu’à celui du corps de logis sur la rue. En parcourant cette aile vers le fond de la cour, on trouvait ensuite une deuxième cuisine et une salle à cheminée puis des remises et enfin au bout, vers le principal corps de logis, le passage qui permettait d’accéder à une petite cour, au bout à gauche de laquelle un escalier desservait les deux bâtiments, le principal et celui qui était en aile. Cet escalier sert à accéder à deux cabinets aux premier et second étages et à un siège d’aisance aménagé dans le grenier ainsi qu’à deux chambres l’une sur l’autre au-dessus de la salle de bain et éclairées sur la petite cour. De l’autre côté du passage il y avait un autre cabinet d’aisance et une plus grande cour dans laquelle le sieur Robert, perruquier avait aménagé à ses frais un édifice de charpente servant à mettre à couvert un réservoir de plomb pour la salle de bain. Au premier étage de ce bâtiment, on trouvait au bout, vers la rue, un passage avec deux garde-robes en saillie, puis dans l’ordre en allant vers le fond de la grande cour, une salle, une chambre à cheminée avec au bout une porte donnant sur l’escalier commun entre le corps de logis en aile et la maison principale. Le deuxième étage avait à peu près la même configuration. Le grenier au-dessus était en appentis et couvert de tuile.

Derrière la grande maison se trouvait un grand jardin décoré d’allées et de plates-bandes bordées de buis entourant un tapis de gazon. On avait installé au bout du jardin une figure en pierre de Saint-Leu posée sur « un pied d’Estal(sic) » .

Toute les cours étaient pavées de grès. On avait construit à gauche de la grande cour, en saillie et contre la longuerelle, une remise.

Une deuxième porte cochère sur la rue permettait d’accéder à un long passage qui comportait un puit commun avec la maison voisine à gauche, habitée par le sieur Dauvillier, et la maison qui nous occupe. La longuerelle passait ensuite sous la grande maison et conduisait à une cour. Au fond de cette cour, on avait construit un édifice qui comportait au rez-de-chaussée, à gauche en entrant, une cuisine et une petite salle, un couloir conduisant à un escalier. Au premier étage, deux petites chambres lambrissée étaient aménagées au dessus de la cuisine et la salle. Il y avait ensuite deux remises et un passage menant à un grand hangar. À côdu passage se trouvait une écurie. À gauche en aile de la cour, on avait construit une deuxième écurie couverte de tuile en appentis, au bout de laquelle vers le jardin du sieur Robert, il y avait un siège d’aisance et encore une autre écurie, aussi couverte de tuile en appentis à égout sur la cour.

Au moment de l’expertise, la grande maison était louée au sieur Robert qui était perruquier. Le sieur Guillotin, sellier et carrossier, avait signé un bail pour la longuerelle, la cour au fond, le hangar ainsi que les différents petits édifices pour la somme de 1100 livres. Par contre la boutique à côté de la porte cochère ainsi que la chambre, le cabinet et le grenier au-dessus et la cave au-dessous du passage ne faisaient pas partie du bail.

La maison fut estimée à 63 680 livres et l’ensemble des biens immobiliers à la somme de 415 555 livres. Même divisée en deux, la succession était une promesse de richesse.

L’expertise. Première page


Le notaire, Me de Visigny, procéda ensuite au partage73 dans lequel il distingua les biens nobles et les biens roturiers, sachant qu’une partie des biens nobles étaient déjà attribués par le testament du président Le Boulanger. Ainsi, à Geffroy Macé allaient la baronnie de Maffliers et les terres de Moussoul, Béthemont et Quincampoix. Quant à Jean Baptiste Elie, il eut les seigneuries et terres de Viarmes, Seugy et Belloy. Il s’agissait donc maintenant de dédommager l’aîné de 30 000 livres et de partager le reste. Les biens roturiers se composaient de plusieurs immeubles dans Paris : l’hôtel et les maisons de la rue des Petits Augustins estimés à la coquette somme de 167 000 livres, l’hôtel Saint Louis de la rue des Grands Augustins (60 000 livres) et les maisons rue Simon Lefranc et rue Bailleul (respectivement 10340 et 22 500 livres), et la maison de la rue de Seine prisée à 63 680 livres). On y ajoutait 32 arpents de terre à Villiers le Sec et quelques rentes. Au total les deux frères s’apprêtaient à partager des biens représentant la coquette somme de 552 053 livres .

Le notaire coupa deux papiers d’égale dimension sur lesquels il écrivit « premier lot » et « deuxième lot », il les ploya et les roula puis les mit dans un chapeau. On fit entrer un petit garçon que l’on avait été cherché dans la rue qui dit se nommer Pierre Coquet. Il remua un petit moment les papiers dans le chapeau et en sortit triomphalement un qu’il donna à Geffroy Macé et le second qu’il mit dans la main du frère cadet. Ce fut Jean Baptiste Elie qui reçut le deuxième lot. Celui-ci contenait l’immeuble de la rue de Seine.



Jean Baptiste Elie Camus de Pontcarré

Le nouveau propriétaire bien que très jeune, il n’avait que 33 ans au moment du partage, était intendant de Bretagne depuis un an il était déjà veuf de Geneviève Paulmier de La Bucaille qui venait de décéder à la fin de l’année précédente à 22 ans. Elle lui avait laissé deux enfants Nicolas Elie Pierre et Jeanne Geneviève.

À partir de ce jour, sa personne prit une importance énorme car ses attributions étaient illimitées dans tous les domaines aussi bien des finances et en particulier des impôts, que de l’agriculture, l’industrie, les ponts et chaussées, les arts et métiers, le commerce, les marchés, la police , les approvisionnements, l’ordre public, le recrutement des troupes, les fournitures des troupes, les affaires ecclésiastiques, les collèges, la librairie, l’administration des municipalités … Cette longue énumération, d’ailleurs incomplète, donne la mesure de son rôle dans l’administration de la Bretagne.

Sans doute, ce fut aussi pour lui l’occasion de rencontrer celle qui deviendra sa seconde femme puisqu’il se remaria à Rennes, en 1738, avec Françoise Louise Raoul de La Guibourgère. Elle était la fille unique d’un conseiller au Parlement de Bretagne et hérita de son père la seigneurie de La Guibourgère. Plus tard, certains de ses descendants prirent le nom de Camus de La Guibourgère.

Cependant, malgré toutes ces occupations fort importantes, il continuait à gérer ses biens. En 1737, il renouvela au sieur Guillotin, loueur de carrosses, son bail de la partie arrière de la maison qui se nommait toujours l’Académie74. Il en coûtait au preneur 1 100 livres.

Le 11 avril 1742, il accepta le transport de bail75 que le sieur Robert avait fait au profit du sieur Claude Lelièvre et lui en fit un nouveau qui commençait au 1er octobre 1743. Les conditions en étaient drastiques. Le preneur, qui était écuyer, apothicaire distillateur du roi et marié à une femme fort jeune76, louait les lieux pour un loyer de 2 200 livres par an dont il devait verser 1 500 livres à Monsieur Le Boulanger77, conseiller honoraire au Parlement, à cause à lui due par le seigneur de Viarmes. Le locataire s’engageait à verser au premier octobre suivant au seigneur de Viarmes une demie année d’avance, somme qui ne serait imputée que sur les deux dernières années de bail (le bail était signé pour neuf ans). De surcroît, il était convenu entre les parties que le sieur Lelièvre ferait couvrir « la remise en forme de hangard » qui était adossé au mur séparant la cour du passage de la maison voisine, de « faire à cet effet la charpente nécessaire et de payer le prix de tous les ouvrages ». Le propriétaire n’y contribuait que pour une somme de 200 livres. Il devait aussi faire clore la remise par des portes et châssis de verre garnis de barreaux de fer. Le tout resterait la propriété du seigneur de Viarmes en fin de bail.

Treize ans après le sieur Lelièvre était toujours présent dans les lieux ainsi que sa femme Marie Catherine Neret, majeure au moins depuis 175378. Jean Baptiste Elie Camus de Pontcarré lui consentit un nouveau bail, le dernier était expiré depuis trois ans. Les lieux loués comprenaient comme auparavant la grande maison et ses dépendances auxquelles le bailleur ajoutait une écurie « de 36 pieds de long et 14 de large ou environ » qui faisait partie des lieux occupés par le sieur Guillotin et adossée au jardin de la maison du distillateur. De façon inattendue, le prix n’était pas augmenté, le sieur Lelièvre payait toujours 2 200 livres, mais il ne versait plus les 1 500 livres à Monsieur Le Boulanger dont la rente avait été remboursée.

Le sieur Lelièvre mourut en 1763, sa femme reprit d’une main de maître l’affaire. Elle avait un grand sens des affaires. De 1763 jusqu’à sa mort qui intervint en 1772, elle acquit trois immeubles (un situé rue Dauphine, et deux à Montrouge).

En 1769, elle maria sa fille à un libraire-éditeur célèbre, Jean Thomas Hérissant. Il apportait en dot 400 000 livres (il est vrai qu’il en devait 110 000 à son père). La jeune épouse reçut de sa mère 56 000 livres, ce qui n’était pas si mal pour une veuve qui avait quatre enfants à charge. Jean Baptiste Elie de Pontcarré signa le contrat ainsi que l’archevêque de Paris et le ministre Louis Phellipeaux.

En 1758, Jean Baptiste Elie fut élu prévôt des marchands de Paris, comme son arrière grand-père 120 ans plus tôt. Il avait la réputation d’être un travailleur et un organisateur remarquable. Sous ses auspices, la bibliothèque de la Ville fut formée en 1763 grâce au legs de 20 000 volumes que le procureur Moreau fit à Paris. Il fut aussi à l’origine de la construction de la halle aux blés (qui est devenue la bourse du commerce).

Les époux Camus de Pontcarré habitaient en leur hôtel rue de Grenelle. C’était sans doute insuffisant à leurs yeux et ils décidèrent d’acheter une demeure digne de la position éminente qu’occupait le mari. Leur choix se dirigea sur le bel hôtel que Claude Louise Gagnat de Longny, marquise de Louvois, possédait en indivis avec sa sœur rue de Bourbon. Certes, la demeure était fort belle, mais le prix était à la hauteur de sa somptuosité. Il leur fallait débourser 1a somme de 130 000 livres plus 4 800 livres pot-de-vin pour s’en rendre propriétaire. Or, les époux de Pontcarré ne les possédaient point, ils passèrent cependant outre ce détail, peut-être oiseux à leurs yeux, et signèrent l’acte d’acquisition le 30 décembre 1765 devant Me Blacque. Pour accéder à leur rêve, ils empruntèrent 50 000 livres au seigneur de Montmorency-Laval et à sa sœur, par l’intermédiaire de leur tuteur onéraire car ils étaient mineurs. L’emprunt fut signé le jour de la signature du contrat de vente. Ils en reversèrent aussitôt 44 800 aux héritières Gagnat de Longny, mais ils leur devaient encore 90 000 livres. Ils constituèrent donc à la marquise de Louvois et à la demoiselle de Longny, à chacune par moitié, 4 500 livres de rente annuelle et perpétuelle. Les dettes du couple étaient énormes. Ils décidèrent donc de vendre une partie de leurs biens fonciers.


43 Dictionnaire des inventions et découvertes anciennes et modernes publié par l’abbé MIGNE

44 Arch. nat., Min. cent. XXIV/105, 18 juin 1606, contrat de mariage.

45 Et non 38 ans comme l’indique Michel Popoff dans son ouvrage Prosographie des gens du Parlement. Il avait 18 et 20 ans en 1651 lorsqu’il entra au Parlement.

46 Presque deux ans.

47 A.N. : H1806A. registres du bureau de l’Hôtel de Ville.

48 Arch. nat. , K999

49 Cette construction est celle de la fameuse longuerelle qui subsistera un siècle et demi.

50 Arch. nat. :X1a 8817

51 AN :CXV/55 , 8 février 1628, contrat de fondation.

52 AN : CV/85, 5 août 1648, inventaire

53 Cette rue est maintenant la rue Bonaparte.

54 Débats du parlement de Paris p 194

55 Il est mort le 16 avril 1712 à l’âge de 81 ans, ce qui lui donne une naissance en 1631, donc 20 ans en 1641.

56 Arch. nat., Min. cent. VI/515, 12 novembre 1660, testament de Claude le Flamant

57 AN ; MC : EV/774, 30/10/1666

58 Prosographie des gens du Parlement de Paris de M. Popoff

59 AN, MC : VI/601, le 28/04/1695. Mariage Le Boulanger-Camus de Pontcarré

60 AN, MC : VI/604 le 17 /09/1696

61 C’est la première fois que ce nom lui est donné. Elle le gardera pendant plus d’un siècle.

62 AN, MC :VI/613 le 19/05/1700

63 AN, MC : VI/604, le 19/12/1696

64 Arch. nat., Min. cent., Y4110

65 A.N. M.C. 24/12/1702

66 Arch. nat., Min. cent., CXIX/111, bail du 2 novembre 1709

67 Arch. nat., Min. cent., CXIX/115, bail du 4 juillet 1710

68 Selon les indications du partage qui fut fait en 1734.

69 Il occupait les 5, 7 et 9 rue Bonaparte et fût par la suite en partie reconstruit (les numéros 7 et 9 dit « petit hôtel de Persan ») par le marquis de Persan.

70 A.N. M.C. LXXXI/263 28/10/1732 Comptes de tutelle.

71 A.N. Z1j/734 8 novembre 1732 au 1er février 1734. Procès-verbal d’estimation.

72 Dans les bâtiments particuliers, un donjon était un petit pavillon élevé au comble d’une maison.

73 Arch. Min.Cent., XV/583. 7 mai 1735. Partage.

74 Arch. nat., Min. cent., LXXVIII/672, 13 novembre 1737, bail.

75 Arch. nat., Min.cent. LXXVIII/689, 11 avril 1742, bail.

76 Elle atteindra sa majorité en 1753

77 Il ne s’agit évidemment pas du Le Boulanger , président mais peut-être d’un membre de sa famille.

78 Elle ratifia le premier bail cette année-là.

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